Alors que Christopher Froome s’apprête à prendre, ce jeudi 18 juillet, le départ de la 18e étape, la double ascension de l’Alpe d’Huez, ses performances depuis le début du Tour de France ont relancé la polémique sur le dopage.
L’exploit sur le Tour de France est-il possible sans se doper ? L’image de Christopher Froome entreprenant, dimanche 14 juillet, deux accélérations dans la terrible ascension du mont Ventoux, assis sur la selle de son vélo, mains sur le guidon, moulinant comme jamais, incite à la prudence jusqu’aux commentateurs de France Télévisions, pourtant partenaire d’Amaury Sport Organisation (ASO) pour la retransmission du Tour. Les performances du maillot jaune seront, aujourd’hui encore, examinées à la loupe alors qu’il s’apprête à prendre le départ de l’étape la plus difficile du Tour, celle de l’Alpe d’Huez. Grimpée pas une mais deux fois ! Le cas Froome divise, et les doutes persistent.
Une méthode de calcul controversée
Peut-on confondre un coureur en fonction du nombre de tours de pédales donnés dans un col ? C’est en tout cas ce qu’assure Antoine Vayer, préparateur de l’équipe Festina entre 1995 et 1998. En juin dernier, juste avant le départ du Tour de France, il publiait avec Frédéric Porteleau, ingénieur en mécanique des fluides, “La preuve par 21”, un hors-série qui compile les performances des vainqueurs du Tour de France depuis 1983. Sa méthode, aussi appelée méthode des watts, consiste à déterminer, lors du visionnage des cols, la quantité de watts développée par un coureur lors d’une ascension en fonction de la pente, du poids du coureur et de sa vitesse : selon lui, en dessous de 410 watts, la performance est humaine, entre 410 et 430 watts elle est suspecte et, au-delà de 450 watts, le résultat est considéré comme “mutant”.
Au lendemain de la 15e étape, celle du mont Ventoux, l’apprenti chercheur, qui tient aussi une chronique du Tour dans Le Monde, écrit ainsi : “Sur le radar posé dans le Ventoux, Froome a été flashé à 418 watts (réévalué depuis à 415), puissance supérieure à celle d’Amstrong et Pantani en 2000.” Tous deux pris dans les mailles du dopage depuis. Un peu plus tôt, dans les Pyrénées, le coureur de 28 ans avait largement dépassé le seuil des 410 watts, en se faisant flasher à 446 watts… “Il roule en moyenne à 41 km/h, la troisième meilleure moyenne après l’Américain (41,65 km/h en 2005) et l’Italien (41,47 km/h en 1998)”, poursuit Antoine Vayer. Il est vrai que sur l’étape du mont Ventoux, Froome a sacrément creusé l’écart avec Alberto Contador et le reste du peloton, respectivement à 1’40” et 4’14” derrière. Pour Antoine Vayer, “l’exploit est aberrant”. Et donc suspect.
“Cette méthode n’est pas fiable, répond Sébastien Moussay, maître de conférences à l’UFR STAPS de Caen. Elle ne prend pas en compte tous les paramètres, comme la charge thermique ou les différentes techniques développées par les coureurs.” Tel le plateau ovoïde testé par l’équipe Sky, un plateau de pédalier non circulaire qui permet d’adapter l’effort sur les pédales en fonction de sa position sur le vélo. Ou encore l’outil SRM, un capteur de puissance installé sur le vélo permettant lui aussi d’améliorer sa performance. Pour Frédéric Grappe, docteur en biomécanique et préparateur de la FDJ (Française des jeux), la performance de Froome est, au contraire, “humaine”. “La performance réalisée par Froome dans le mont Ventoux apparaît en complète cohérence avec ses performances réalisées depuis la Vuelta en 2011 selon les valeurs qui composent son profil de puissance record (PPR), écrit-il sur son blog. Certains pensent que, parce qu’il a atteint des niveaux de performance proches de ceux d’anciens coureurs dopés, alors il est forcément dopé, mais ce n’est pas juste d’affirmer cela.”
Les limites des contrôles antidopage
“Les seules méthodes reconnues, ce sont les analyses sanguines et d’urine, poursuit Sébastien Moussay. Et Froome n’a pas été contrôlé positif.” Problème : les contrôles ne sont pas fiables à 100 %. Christopher Froome, comme tous les leaders du Tour, est particulièrement dépisté sur la compétition. Mieux, il a un passeport biologique qui le suit tout au long de sa saison sportive. Ce document électronique, établi par différents contrôles hématologiques, a permis de constituer le profil du coureur et de noter ses variations hématologiques. “Mais il est tout à fait possible de ne pas se faire coincer, en utilisant, par exemple, des microdoses d’EPO ou des microtransfusions sanguines de manière rapprochée”, reconnaît Michel Audran, directeur du laboratoire de biophysique et bioanalyse à la faculté de pharmacie de Montpellier. “Avec quatre semaines de traitement à l’EPO en doses thérapeutiques, on augmente entre 6 et 8 % sa VO2 max [volume d’oxygène maximal], ce qui équivaut à six mois d’entraînement supplémentaires, poursuit ce spécialiste du dopage sanguin. Mais, pour l’instant, aucune publication scientifique ne permet d’évaluer les conséquences sur la performance d’un dopage par microdoses.”
Autre limite, pour Michel Audran, les contrôles sont interdits entre 23 heures et 6 heures du matin. Or, “certains coureurs prennent de l’insuline avec une boisson édulcorée le soir. Il leur est facile d’éliminer par voie urinaire la substance.”
Les doutes sur l’équipe Sky
“L’équipe Sky a fait beaucoup d’entraînements en altitude au Kenya [pays d’origine de Christopher Froome, NdlR], indique Michel Audran. Or, le centre d’entraînement a une réputation d’être un “site de dopage”.” Depuis le début de la polémique, le manager de Sky, Dave Brailsford, ne cache pas son exaspération quant aux doutes émis sur les performances de son maillot jaune. Depuis sa création en 2010, l’équipe joue la carte de la transparence : en octobre dernier, après avoir exclu trois de ses membres qui avaient avoué s’être dopés par le passé, Dave Brailsford a instauré une charte antidopage.
Mais d’autres soupçons existent. La maigreur des coureurs Sky interpelle. En particulier celle de Froome, 1,86 mètre et 69 kilos… Le vainqueur du Tour 2012, Bradley Wiggins (1,90 m, 71 kilos), autre coureur de Sky, avait lui aussi perdu beaucoup de poids. “Certes, il faut être très fin et léger pour grimper, mais certains physiques interrogent sur la prise d’un nouveau produit dopant, l’Aicar, connu pour entraîner une importante perte de poids mais qui améliore nettement aussi l’endurance”, confie Michel Audran. Mais l’Aicar n’est pour l’instant pas détecté sur le Tour. Seuls des échantillons d’analyse seront envoyés au laboratoire de Cologne, qui livrera son verdict… dans quelques années.
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