“Une meilleure intégration des supporters limiterait certaines frustrations”

Entretien avec Nicolas Hourcade, sociologue à l'École centrale de Lyon et spécialiste des Ultras.

Lyon Capitale : On parle souvent des Ultras mais sans vraiment connaître leur mode de fonctionnement...

Nicolas Hourcade : Il existe différentes manières d’être supporter, différents types de "supportérisme". Ceux qui se définissent comme Ultras constituent des groupes structurés sous une forme associative. Leur objectif principal est de soutenir activement leur équipe. Cela passe par une organisation de leurs activités à la fois dans le stade et en dehors. Au stade, ils réalisent à l’entrée des joueurs, des animations appelées des tifos. Des meneurs (Ndlr : les "capos") encadrent les chants, des déplacements sont organisés pour suivre l’équipe à l’extérieur. En dehors des matches, ils se positionnent comme des acteurs du football, sous un modèle syndical. C’est pour cela qu’ils insistent souvent sur leur autonomie. Ils cherchent en effet à défendre leurs propres intérêts. Ils sont revendicatifs par rapport aux dirigeants ou aux joueurs.

Les Ultras sont aussi ambigus car ils veulent être reconnus par le monde du foot tout en demeurant "rebelles" et en n’étant pas "récupérés par le système". Cette attitude conflictuelle les distingue des associations de supporters dites officielles qui ont, elles, une vision consensuelle du foot. Elles prônent le fair-play, conçoivent le club comme une grande famille et se vivent comme des partenaires des autres membres de cette famille. L’une des autres différences, c’est l’âge. Les Ultras sont généralement des jeunes de 16 ans à 30 ans tandis que les associations officielles rassemblent des personnes de tous âges. De plus, mis à part dans quelques villes comme Lens, les associations officielles ne s’impliquent pas autant que les Ultras dans l’animation du stade.

Comment s’organisent-ils en interne ?

Quand vous avez 2500 membres dans un groupe Ultra, les degrés d’investissement sont très différents. Si on prend les deux extrêmes, il y a le simple adhérent qui va se considérer comme engagé parce qu’il vient à tous les matches et qu’il encourage l’équipe. Et il y a le "noyau dur", composé de quelques dizaines de personnes très investies qui font vivre le groupe. Entre les deux, il y en a qui font quelques déplacements, d’autres qui vont donner un coup de main de temps en temps à la préparation des tifos, etc. C’est important de le préciser, car les centres d’intérêts peuvent être complètement différents.

Certains sont profondément passionnés par le foot, d’autres apprécient surtout l’animation du stade ou bien les virées entre potes lors des déplacements. Il y en a aussi qui vont aimer la vie associative quand d’autres privilégient le côté déviant, les provocations. Les incidents qui impliquent un groupe Ultra ne concernent qu’une petite partie du groupe.

Comment expliquez-vous ces actes de violences commis par certains Ultras ?

Les Ultras refusent la morale du fair-play, qu’ils jugent hypocrites puisqu’ils estiment que le football est un combat entre deux camps et qu’il faut gagner. Cela légitime d’insulter l’adversaire et de lui mettre la pression. Il y a aussi chez ces supporters une acceptation du recours à la violence physique. Ils sont dans une logique de rivalité. Les Ultras considèrent qu’ils représentent leur groupe, leur club, leur ville. Ils ont leur propre compétition en parallèle des matches.

Si au final, se battre permet de se “faire respecter”, certains ne vont pas hésiter à franchir le pas. Mais lorsque vous parlez avec des Ultras, ils vous disent toujours que, s’ils ont recours à la violence, c’est simplement pour se défendre. Leur rhétorique, c’est “on n’attaque pas, on se défend”. Avec les Ultras, c’est difficile de parler de la violence d’autant qu’ils ont conscience qu’elle peut nuire à certaines de leurs revendications.

Ce qui les différencie des hooligans...

Exactement. Les hooligans reconnaissent sans complexes être là essentiellement pour la violence. Ceux qui s’appellent eux-mêmes indépendants, hools ou casuals, ne forment pas des associations mais des bandes informelles centrées sur la violence. Une grande différence avec les Ultras, c’est que les hooligans s’investissent beaucoup moins dans le soutien à l’équipe et dans la vie du club. Ils n’ont pas forcément de revendications spécifiques sur le monde du football.

Quelles mesures adopter pour mettre fin à ces violences ?

A en croire certaines interventions médiatiques, il y aurait des solutions miracles. Alors que non. Sinon, on l’aurait déjà fait. En revanche, on peut essayer de mettre en place une politique globale cohérente, en se fixant comme objectif de diminuer la violence. C’est-à-dire qu’il faut une répression des comportements délinquants qui soit bien ciblée et considérée comme juste. Par exemple, la dissolution d’un groupe de supporters considéré comme violent n’est pas toujours une bonne idée. Parce que du coup, ça casse toute structure modératrice, les groupes ultras ayant intérêt à limiter les débordements. Et les supporters violents continuent leurs agissements dans des bandes plus difficiles à réguler.

Il faut aussi mettre en place des infrastructures intégrant les impératifs de sécurité et d’accueil convivial des supporters. Ça tombe bien puisqu’on est en train de réfléchir à la rénovation des stades. Il faut également faire un travail de formation des stadiers et des forces de l’ordre pour limiter les tensions avec les supporters et éviter les réactions inappropriées qui aggravent les problèmes. Il est également nécessaire d’instaurer un dialogue entre les différents acteurs du football, dont les supporters. Je suis peut-être naïf, mais je pense qu’une meilleure intégration des supporters dans le monde du foot limiterait certaines frustrations et pourrait désamorcer des tensions.

Êtes-vous d’accord avec ceux qui disent : “l’entraîneur entraîne, le président préside, les supporters supportent”?

Il faudrait savoir par ce qu’on entend par : “les supporters supportent”. Je sais que c’est un cliché récurrent qui signifie : “chacun à sa place”. Ce qui me paraît important, c’est de réfléchir au rôle des supporters. Il me semble qu’il y a des ambiguïtés assez fortes. On dit aux supporters : il faut que vous soyez à fond derrière votre équipe, quasiment fanatiques, mais dès qu’il y a un dérapage le monde du foot fait comme s’il n’y était pour rien !

De même, on n'arrête pas de dire que les supporters, c’est le douzième homme, que sans eux, il n’y a pas d’ambiance, mais en même temps, il y a une très grande réticence à les reconnaître comme un acteur à part entière du football. C’est un peu comme si les dirigeants des clubs disaient à leurs supporters : “amusez-vous les enfants, mettez de l’ambiance mais les décisions, c’est les grands qui les prennent”. Les supporters doivent-ils avoir un mot à dire sur le prix des places ? Une voix consultative au conseil d’administration ? Être actionnaires ? Je n’ai pas de réponses arrêtées, mais ce sont des questions qu’il faut traiter pour sortir des ambiguïtés actuelles.

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