L'élu du 7e arrondissement n'en est pas peu fier et proclame avec humour sur son blog : 'Lyon capitale, le reste c'est succursale'. C'est en tout cas l'occasion de lire ou de relire le portrait croisé de Romain Blachier et de son meilleur ennemi du web, Jérôme Manin, paru dans le mensuel Lyon Capitale en mai dernier.
Les faux ennemis du web
Portrait croisé. Sur Internet, ils laissent leur signature dès qu'un débat se politise. Jérôme Manin et Romain Blachier sont devenus au fil des jours des analystes partisans de la vie lyonnaise. Souvent dans le registre de la mauvaise foi et avec prétention. Dans la vraie vie, ils sont loin de leur cyber caricature. A tel point qu'ils sont devenus amis.
Tout a commencé quand des initiales JM sont venues pinailler sur le blog de Romain Blachier. Des commentaires de droite sur un site de gauche, rien que du bien normal. Sauf que la blogosphère lyonnaise n'en a pas vraiment l'habitude. Les premiers échanges remontent à décembre 2007. Lyon frémit alors. La campagne pour les municipales bat son plein. L'affrontement de terrain entre Dominique Perben et Gérard Collomb vient se nicher jusque sur la toile. Plus par opposition au maire sortant que par engouement pour Perben, Jérôme Manin, JM, endosse le rôle du chevalier bleu. "Le site de Romain commençait à marcher et il était très PS même si ce n'était pas un site d'élu. Alors j'ai attaqué sur le registre de l'humour", avance-t-il. "Ce n'était pas humoristique, c'était violent", rétorque son meilleur ennemi du web. Et puis l'homme de droite s'est démasqué. De JM, il est passé à Jérôme Manin. Rejoignant ainsi Romain Blachier dans le camp des commentateurs politiques du web qui signent de leur vrai nom.
Le duel peut commencer
Il se propage sur l'ensemble de la toile lyonnaise. Sites d'informations, de campagne, le numéro de duettiste se prolonge à chaque nouvel article posté sur le web. Quand l'un tacle, l'autre le reprend de volée. L'affaire dure des mois. Jusqu'à la fin des élections. En parallèle, les deux hommes essaient de dépasser leur cyber rivalité. "Je lui ai rapidement proposé un duel de jeu de mots mais il a refusé", sourit légèrement sournoisement Manin. Blachier : "ensuite je l'ai invité à aller boire un verre mais il a décliné. Il faut dire qu'à l'époque nous étions tous les deux très impliqués dans la campagne". Manin dirigeait celle de Fabienne Lévy dans le premier et Romain Blachier faisait celle de Flaconèche dans le 7ème arrondissement.
Toute première fois
Le premier contact pour de vrai aura donc lieu au mois d'avril 2008. Le vainqueur socialiste faisant le premier pas. "Nous avons bien plus de convergences dans la vraie vie. D'ailleurs nous ne sommes pas vraiment frontalement opposés politiquement. Nous sommes tous les deux modérés. Jérôme est devenu un ami. Nous venons d'un milieu similaire. Son identité numérique est bizarre. Il se fait passer pour un type de droite. Sur Internet, il incarne un personnage", souligne Romain le socialiste.
Sur la toile, l'un comme l'autre tombent rapidement dans la caricature. Manin plus à droite qu'en lui-même. A des années lumière du bonhomme. Tête rigolote de héros maladroit de bande dessinée, style décontracté limite baba cool. Il habite sur les pentes de la Croix-Rousse, appartient au milieu culturel. A une époque, il s'est même lancé dans l'élevage d'autruches. Quelques années plus tôt, il avait tout lâché pour partir faire du bénévolat au Cambodge avec son épouse. Un CV qui détonne dans la caricature du mec de droite qu'il trimballe de site en site sur le web.
En présence des deux, il faut placer les étiquettes politiques pour reconnaître qui est qui. Blachier porte, lui, volontiers le costume cravate même si cette dernière vole à la première occasion. Fils de profs "plutôt à droite", il a bourlingué dans ses plus jeunes années dans le sillage de ses parents au gré de leurs mutations dans des pays africains ou dans les DOM-TOM. Il dit avoir puisé son engagement politique quelque part dans ses voyages. Aujourd'hui, avec ses cheveux grisonnants, son verbe haut et son accent populo, Romain Blachier se place dans le registre de la séduction. Il se met en valeur.. Le mot "je" revient en boucle dans la bouche de ce trentenaire hyperactif.
C'est d'ailleurs une de ses occupations principales sur la toile. Sur son blog, il raconte sa vie. A une époque, il n'hésitait pas à parler de ses bitures. Il s'est ravisé. Devenant plus politiquement correct. Alors aujourd'hui, il parle de politique souvent. Défend Gérard Collomb autant qu'il pourfend Nicolas Sarkozy. Détend l'atmosphère avec des recettes de cuisine politicienne ou des posts sportifs. "Je ne suis pas un homme politique. Je suis un mec qui fait de la politique", se plaît-il à dire. Quand il parle de web, on croirait entendre un directeur marketing. Il décrit les hommes politiques en potentiel 2.0. Le pouvoir l'attire et il s'est constitué un joli réseau médiatico-politique. L'ambition pointe régulièrement au détour d'une de ses phrases. Une sorte d'anti-Manin qui ne manque jamais une occasion de rappeler qu'il n'a pas envie d'être élu un jour.
Un décalage qui devient vite sujet de raillerie. Quand ils se croisent, les moqueries volent bas. D'abord sur les vêtements et puis inévitablement, leurs vannes finissent par déraper sur la politique et sur Lyon. Leur complicité saute aux yeux. On les verrait bien dans une salle de conseil municipal en observateurs extérieurs avisés. L'un, Manin, glissant un jeu de mots à voix basse. Puis l'autre riant à gorge déployée.
Jérôme le discret et Romain le volubile. Leurs noms reviennent avec la même fréquence sur le web lyonnais mais le mode opératoire diverge. Jérôme Manin se contente de rester dans l'ombre quand Romain Blachier affiche sa binette sur son blog. L'internaute encarté à l'UMP s'interroge d'ailleurs depuis quelques jours. Peut-être va-t-il imiter son pote et monter son blog ? Question technique, les deux animateurs de la vie politique lyonnaise sont calés. Ils en ont d'ailleurs fait leur boulot et n'hésitent pas à se refiler quelques plans si l'occasion se présente.
"J'imagine mon rôle comme celui du bouffon"
Romain Blachier était chômeur quand il s'est lancé dans l'aventure des analyses politiques sur le net. Jérôme Manin oeuvrait, lui, en tant que programmateur. "Je passais ma journée devant mon écran à entrer des codes, alors commenter l'actualité politique de Lyon était une sorte de récréation", explique-t-il avec dans ses yeux la malice d'un gamin qui vient de jouer un bon tour. Un sentiment qu'on imagine bien l'habiter après chaque message laissé sur la toile. Son coeur de cible : Gérard Collomb et quelques uns de ses adjoints. Il se gausse du clientélisme du système Collomb. S'acharne sur le financement des associations. Tire à vue dès que l'occasion se présente. "J'imagine mon rôle comme celui du bouffon. Sans opposition, les gens se perdent, alors à mon échelle j'essaie de dénoncer des choses. J'ai envie de dire aux politiques qu'ils font n'importe quoi. A Lyon, nous avons la gauche la plus bête de France", persifle Jérôme Manin. Il aime critiquer. Il se place dans le registre de l'amusement. De l'autodérision parfois. "Je ne suis que le faire-valoir de Romain Blachier sur Internet. J'ai un côté excessif pour montrer que la droite lyonnaise existe encore".
"Quand Gégé déconne, je le lui dis"
Comme Romain Blachier, il est militant. Les deux sont encartés : l'un à l'UMP et au Parti Radical Valoisien, l'autre au PS. "Je ne porte aucun étendard. Je suis libre, moi. Je n'ai aucun engagement politique", se défend Manin. Avant de chambrer : "Je ne connais pas d'élus. Romain leur serre la main. Il est un des leurs", chambre Manin. Blachier depuis le printemps dernier a basculé dans la vie d'élu. Il officie dans le septième arrondissement en tant qu'adjoint au commerce et s'investit dans le fonctionnement du PS. "Je soutiens Gérard (Collomb, ndlr) mais cela ne m'empêche pas de lui dire quand je ne suis pas d'accord avec lui. Sur la présidentielle, on s'est opposés. Moi je militais pour une candidature de Dominique Strauss-Kahn, lui pour Ségolène Royal. Quand Gégé déconne, je le lui dis", nuance Romain Blachier.Ce dernier ne se contente pas de commenter la vie politique. Il jongle entre réel et virtuel. Il organise des rencontres, des débats. Il a lancé la République des blogs et s'imagine en cyber spin doctor.Mais en étant à chaque fois au centre des débats. L'un cultive sa discrétion quand l'autre s'affiche sur la place publique.
"Tu es dans l'antithèse, moi dans la thèse"
Manin le discret se contente d'aller semer un vent d'opposition sur la gestion des affaires locales. "Tu es dans l'antithèse, moi dans la thèse. Tu fais beaucoup de commentaires stériles. Je suis plus constructif que toi. Tu passes ton temps à dire : Gérard Collomb est méchant", l'apostrophe Romain Blachier lors d'une rencontre entre les deux amis que nous avons organisée. "C'est vrai que c'est un peu une routine. Mais toi, si Gérard Collomb se jetait d'un pont, tu le suivrais", rétorque Manin. Coupé du monde extérieur, leur discussion pourrait durer des jours. Pour la clore, Jérôme lâche un "sale gauchiste" ponctué d'un rire de fouine. Blachier le prend pour un compliment et sourit.
Pendant l'heure où nous les avons réunis, ils se sont écharpés un peu. Ont plaisanté beaucoup. Contents de s'être trouvés et d'avoir pu débattre. Leurs conversations sont toujours à la limite de la joute verbale, du concours d'improvisation. Comme ils le font sur le net. Et puis l'un est retourné vers sa vie politique publique. L'autre derrière son clavier avec son sourire malicieux à l'affût du moindre tacle à glisser à la gauche lyonnaise. Comme tout les oppose, leur duel n'est pas prêt de s'achever. Comme leur amitié.
Paul Terra
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