Il couronne cette année un petit bijou d'humour noir et rose : peau d'ours, de la jeune et frêle Camille Jourdy qui a grandi dans le Jura, avant d'étudier les beaux-arts et les arts décos dans l'Est puis de s'installer à Lyon. "On a primé ce livre, car on aime l'idée qu'un livre peut se lire différemment à tous les âges, avec innocence ou perversité" explique Philippe-Jean Catinchi, journaliste au Monde des livres et membre du jury "jeunesse". Peau d'ours (Ed. Drozophile) est un album sans texte qui raconte par la seule grâce du dessin sérigraphié, sobre et expressif, une histoire subtile, faussement naïve et délicieusement cruelle. Un ours rose se vante devant un aéropage de châtelaines futiles et désœuvrées de ses futurs exploits : il s'apprête à tuer une créature cyclopéenne. Mais le célèbre dicton : "il ne faut pas vendre la peau de l'ours..." s'applique aussi aux ours... Car c'est finalement le cyclope qui revient chapeauté et ganté de peau d'ours ! Au grand dam des châtelaines qui avaient épousé la cause de l'ours avant de se rallier, versatiles et oublieuses, à celle du cyclope en 4e de couverture...
Le prix de littérature couronne un ouvrage lui aussi très singulier. Ni roman, ni récit, D'ici là de John Berger (Ed. de l'Olivier) est "une écriture d'une exquise et souveraine liberté" estime Claude Burgelin, président de l'Arald (Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation) et membre du jury. John Berger, auteur britannique de 80 ans vivant en Haute-Savoie depuis plus de trente ans - "j'ai tant appris des bergers de Haute-Savoie ; mon université, ça a été ces alpages !" dit-il - se félicite d'ailleurs de ce prix "accordé en toute indépendance, sans attention portée à la mode parisienne". D'ici là est une suite d'esquisses du quotidien, sensuelles et poétiques, faisant entendre la musique particulière de divers lieux - de Lisbonne à Krakow, de la grotte Chauvet à Islington - ressuscitant les morts, révélant une remarquable qualité de présence à la nature, aux objets, au monde, aux autres. Dans la catégorie essais, le jury a primé un pavé de près de 600 pages sur le philosophe Spinoza, à travers ses lecteurs et détracteurs au siècle des Lumières : L'envers de la liberté de Yves Citton (Ed. Amsterdam). "J'ai essayé de faire une lecture littéraire de textes philosophiques qui me semblent éclairer nos problématiques contemporaines autour de la liberté" explique l'universitaire grenoblois. "C'est un livre exaltant et passionnant ! Jamais abstrait, jamais écrit en langue de bois !" s'enthousiame Claude Burgelin. Enfin le prix de traduction récompense une stéphanoise, Claude Demanuelli, traductrice d'une cinquantaine d'ouvrages en 20 ans, de John Updike à Zadie Smith, dont beaucoup de littérature indo-paskitanaise comme cette Cité des amants perdus de Nadeem Aslam (Ed. Le Seuil). Chaque prix est doté de 5000 euros par la Région Rhône-Alpes et les ouvrages, ceints d'un bandeau "prix Rhône-Alpes du livre 2007" peuvent espérer prolonger un peu leur vie en librairie.