Thierry Roudil © Lionel Ballet

Théâtre : foncez À contresens !

L’ex-flic Thierry Roudil est un rescapé, un miraculé. Il a été battu – presque – à mort sur les pentes de la Croix-Rousse. Il a connu la drogue (et pas seulement la fumette, l’héroïne pure à 80 %). Il a affronté la désintoxication forcée, une maladie dégénérative des reins et un Covid qui l’a plongé plus d’un mois dans le coma. Pronostic vital engagé ! Sa vie, ses vies plutôt, il les raconte désormais sur scène.

Disons-le d’emblée, la façon dont Thierry Roudil interprète son spectacle, À contresens, est loin d’être techniquement maîtrisée et sans défaut.

Vêtements banals, pas franchement à l’aise sur scène (du moins au début), il bute sur les mots, bafouille, se reprend, a recours plusieurs fois à sa compagne, placée au premier rang, pour lui souffler son texte. De surcroît, il ne se place pas correctement par rapport au spot censé l’éclairer ! Et pourtant…

Une fois que l’on est pris dans les filets de son récit, toutes ses maladresses, toutes les imperfections n’ont aucune importance. Au contraire même, elles donnent au spectacle sa sincérité exceptionnelle, qui vous cueille comme un uppercut. Il le dit lui-même : “Je ne joue pas un rôle, je raconte ma vie en toute transparence.” Et quelle vie !

Bad lieutenant

Il résume ainsi ses débuts dans la police : “Originaire de Bourg-lès-Valence (dans la Drôme), à 21 ans, je suis devenu gardien de la paix. J’ai d’abord travaillé à Paris avant de venir à la Croix-Rousse. Mais dans le début des années 90, les uniformes n’étaient pas appréciés sur les pentes, où j’habitais, sans doute le côté libertaire… Un soir, des types me sont tombés dessus, ils m’ont cassé la gueule, battu à mort, au point que j’ai dû être amené aux urgences.”

Cette douloureuse mésaventure le motive pour passer le concours d’inspecteur de police. Qu’il réussit haut la main ! Désormais, il travaille en civil. Il est même promu à la tête de la brigade des Stups du 2e arrondissement de Lyon, en 1996.

Il dirige une importante enquête contre des trafiquants de cocaïne, qui ne cesse de se ramifier. Il bosse jour et nuit, enchaîne, pour tenir, clopes et verres de whisky. Il a des fréquentations pas toujours recommandables ; sa situation sentimentale, qui s’était améliorée, se dégrade à nouveau.

Un soir, au commissariat, la pression est telle qu’il cède à la tentation, il se rend dans le placard où il a conservé un kilo d’héroïne de premier choix suite à une prise exceptionnelle, “pour rémunérer les indics”. Il n’en prélève qu’une infime partie, une pointe de couteau qu’il met dans une cigarette, il fume… Et il oublie tous ses problèmes, il est bien, merveilleusement bien.

Mais il a mis le doigt dans l’engrenage fatal trop bien connu des toxicomanes : l’accoutumance qui fait que l’on augmente les doses et le nombre de prises (sans compter qu’il est passé au sniff) ; l’addiction qui fait que si l’on arrête, le manque se déclare, insupportable.

Conscient qu’il ne pourra s’en sortir tout seul, il décide de se dénoncer à ses supérieurs et tous ses collègues. La machine policière se met alors en route, à son encontre. Il est accusé de vol aggravé (il a détourné une prise de drogue), révoqué et envoyé en correctionnelle… La suite ? Nous ne vous la révélerons pas. Il faut aller voir, et surtout écouter, le spectacle, À contresens, que Thierry Roudil a conçu à partir de sa vie, où tout est rigoureusement vrai.

Résilience

Disons tout de même que le quart de siècle qui suivra son renvoi de la police ne sera pas de tout repos. Loin de là. Il affrontera une maladie dégénérative, la même qui causera le décès de sa mère, une greffe de rein et un Covid qui ne sera pas une grippette. Il se retrouvera plongé dans le coma pendant des semaines avant d’en sortir paralysé au point de ne plus pouvoir bouger ne serait-ce qu’un doigt !

Pour Thierry Roudil, la résilience n’est pas un concept creux devenu à la mode. C’est une réalité, une incroyable force psychologique et physique. Qui lui a permis d’affronter les coups durs d’un destin exceptionnel sans jamais tomber au point de ne pouvoir se relever. Et de connaître des joies encore plus fortes que les épreuves subies. Au premier rang desquelles figure l’amour de son fils et de sa compagne. Mais aussi le fait d’avoir su se reconstruire professionnellement, en montant une salle de spectacles d’humour, L’Appart Café à Bourg-lès-Valence.

Et en créant ce seul en scène, À contresens, qui tourne dans toute la France (y compris au festival Off d’Avignon). Il y a encore deux dates prévues en avril à Lyon, au petit café-théâtre situé derrière la place Sathonay, La Girafe qui se peigne. Les places sont limitées, dépêchez-vous de réserver !

À contresens – Les 4 et 25 avril à La Girafe qui se peigne

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