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"La Diagonale des Fous tire sa légitimité de l'histoire des esclaves"

Mickaël Mussard est journaliste spécialisé dans le trail. Né à La Réunion, il a grandi avec le Grand Raid. Il vient d'écrire Le Grand Raid de la Réunion, une histoire de fous.

Pourquoi le nom de  "Diagonale des fous" ?

Juste un petit résumé historique. Pour la première édition, en 1989, la course s'appelait la Marche des Cimes (112 km – 5 400 D+). On comptait 500 coureurs. Un an plus tard, elle changeait de nom pour devenir la Grande Traversée (126 km – 5 000m D+), avec quasiment le double de coureurs. En 1993, les organisateurs arrivent à sauver les meubles – après avoir résolu quelques problèmes de financement – et devient la Course de la Pleine Lune (129 km – 6 600 m D+). Moins de 450 coureurs prennent le départ.  En 1994, elle prend son nom définitif de Grand Raid (130 km – 6 900 m D+). C'est à l'occasion de cette édition, qu'un journaliste de Jogging International, Bernard Morin, a trouvé le nom de "diagonale des fous". Il était sur place pour couvrir la course dans le cadre d'un hors-série qu'il réalisait sur les 50 plus belles courses du monde. Pour illustrer la page complète qu'il avait écrite sur la course, une photo a été prise d'hélicoptère. Sur la photo, on voyait des coureurs traverser la Plaine des Sables, une vaste étendue lunaire aux reflets mordorés et rougeâtres sur le plateau des hauts de l'île, en diagonale et en file indienne. Le président de l'association du Grand Raid a trouvé le nom exceptionneL Il a appelé le journaliste pour lui demander s'il pouvait baptiser la course ainsi. Ça s'est fait comme ça. Ce qui allait devenir un mythe était né. Depuis, les distances et le dénivelé positif ont évolué pour se stabiliser depuis 2016 à 165 km et 9 700m D+.

À île exceptionnelle, course exceptionnelle ?

Oui, carrément. C'est ce qui fait que c’est devenu l'une des courses les plus importantes, les plus dures et les plus légendaires au monde, ajouté au fait que La Réunion est le berceau du trail avec les États-Unis, bien avant que ça devienne une mode en France. Elle possède une aura historique qui n'existe nulle part ailleurs et une aura climatique et géographique est incomparable. On peut passer de 25°C en début de nuit à 0°C vers 3 heures du matin, pour revenir à 40°C l’après-midi. Les corps sont soumis à des conditions très particulières. En plus d'avoir des géologies singulières, les climats font que cette course est absolument unique.

Au-delà de sa difficulté, la course tire sa légitimité de l'histoire même de l'île, celle des esclaves, les "marrons"...

Avant le XVe siècle, l'île de la Réunion était vierge. Elle a été découverte au fur et à mesure des grandes explorations maritimes. Ce sont les Portugais les premiers à passer au large de l'archipel des Mascareignes, ces bouts de cailloux, Maurice, Réunion, et Rodrigues. Cependant, il semblerait que les Arabes aient été les premiers à répertorier l'île sur une carte. Pour autant, elle reste inoccupée pendant plus de deux siècles après sa première découverte. Le premier à revendiquer le passage par le sol est un pirate anglais répondant au nom de Samuel Castelton sur son navire le Pearl. Mais la France s'empare de l'archipel en 1638, utilisant les îles comme relais et zone d'exil pour des mutins d'autres comptoirs du royaume. En 1663, les vrais premiers colons débarquent sur la côte ouest de l'île. Ils viennent avec des esclaves ramassés sur le chemin, Madagascar et la côte est africaine. La colonie grandit au fil des années. En 1764, l'île compte 22 000 personnes dont 18 000 esclaves. Pour échapper à leur condition, les esclaves "partent marron" comme on dit en créole. Il s'enfuient des plantations, tentent  des percées vers les hauts sommets inexplorés et escarpés, s'enfonçant dans ces terres vierges où les sentiers n'existent pas, escaladant les remparts volcaniques, une horde de chasseurs de Noirs et de chiens à leurs trousses. Une course de trail avec des enjeux de survie.

Est-ce pour cette  raison que le Grand Raid est aussi important aux yeux des Réunionnais, que la course revêt le statut d'institution ?

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En fait, la course est née de l'initiative de Jean-Jacques Mollaret, ancien gendarme du peloton de haute montagne (PGHM) de Chamonix. Installé sur l'île depuis plusieurs années, devenu directeur de la Maison de la Montagne, il s’est inspiré du Cross du Mont-Blanc (créé en 1979 par le Club des sports de Chamonix, NdlR) pour lancer le Cross du Piton des Neiges. Persuadé qu'on pouvait aller plus loin et traverser l'île de part en part, il met sur pied, avec d'autres personnes et après des reconnaissances sur le parcours qui emprunte des sentiers du GRR2, la Marche des Cimes, qui traverse l'île de La Réunion dans son intégralité. Si la mayonnaise a autant pris et aussi vite, c’est parce que les Réunionnais ont pris conscience qu'en allant découvrir leur île à travers les sentiers, ils découvriraient aussi une identité très marquée qui leur appartenait. Ils disent que quand ils courent, ils ont l'impression d'être habités, de revivre ce qu'ont vécu les esclaves à leur époque.

Des voix s'élèvent pour avoir un Grand Raid qui prenne plus en compte cette histoire...

Oui, les Réunionnais, je pense, aimeraient que l'événement qui fait partie de leur culture et de leur histoire, soit "réimplanté" au coeur du Grand Raid. Ce serait intéressant que ce patrimoine réunionnais et l’histoire du marronnage soit un peu mieux mis en valeur.

Les Réunionnais considèrent que le Grand Raid est un passage obligatoire vers la vue d’adulte....

Oui. Je l'ai vécu personnellement. Quand j'étais petit, on habitait une zone assez urbanisée. On entendait parler du Grand Raid mais je ne voyais pas les gens s'entraîner. Et quand j'avais 12/13 ans, on a déménagé dans un endroit où il y avait des sentiers qui se croisaient, on était à un carrefour. Ça a changé du tout au tout. J'ai senti un vrai respect pour ces gens qui faisaient la Diagonale. C'était des gens qui inspiraient le respect. Pas mal de monde disait que si tu ne pouvais pas être un homme si tu n'avais pas fait un Grand Raid. Le regard des gens change quand tu leur dis que tu as fait le Grand Raid. C'est une sorte de rite de passage sur quelque chose de plus grand.

On comprend bien qu'on prête une oreille attentive au chef prévisionniste de météo France ou à la directrice de l'Observatoire du piton de la Fournaise. Mais Robert Chicaud, président de l'association du Grand Raid...

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Robert Chicaud et la Diagonale des Fous c'est un peu à l'image qu'on prête à Christian Prudhomme et au Tour de France. Comme en métropole et feu Les Guignols, on a des humoristes à La Réunion qui caricaturent les grands personnages de l'île. Robert Chicaud est l'un de ceux-ci, comme le chef prévisionniste de météo France ou la directrice de l'Observatoire du piton de la Fournaise. Ce sont des gens qui sont rentrés dans l’opinion  publique, dont les propos sont scrutés, analysés et critiqués. Robert Chicaud revêt même un rôle politique car tous les ans, il fait vivre pendant plus d'un fois l'économie de l'île

Selon Le Quotidien de La Réunion, la Diagonale  génère 10 millions d'euros....

Ça ne m'étonne pas. Si on prend 7 500 coureurs sur l'ensemble des courses (Diagonale des Fous - 170€, Trail de Bourbon - 115€, Mascareignes- 80€ et Zembrocal 225€/équipe), avec au moins autant d'accompagnants, voire 2 ou 3 par coureur, ça fait vite beaucoup de monde. Après, quand on vient à La Réunion, on ne vient pas pour 3 jours. Il y a l'avion, l'hébergement, la logistique, je vous laisse faire le calcul. Quand j'y vais, heureusement que j'ai ma logistique, car il n'y a plus une seule voiture de location disponible pendant la durée de l'événement ; les logements à moins de 500 euros la nuit sont introuvables... Oui, le Grand raid a participé à l’essor même du tourisme de La Réunion.

Des 100 miles avec 10 000 mètres de dénivelé positif, on en trouve un peu partout aux quatre coins de la planète. En quoi celui-ci est-il particulier ?

Il y a le terrain déjà. On retrouve à La Réunion tout ce qu'on peut retrouver comme types de terrain dans le monde. Tu as du sentier roulant – très peu d'ailleurs de roulant – des racines de partout, énormément de cailloux, des marches à ne plus savoir qu'en faire, évidemment irrégulières, faites de bouts de bois, de pierres, ce ne sont pas des escaliers bien propres, en béton. Et puis ont dit souvent qu'on va plus vite en montée qu'en descente. Les parcours sont exigeants.  À cela s'ajoutent les microclimats qui font qu'en 200 mètres de dénivelé, on peut passer d'un sentiment de chaleur à un sentiment de froid total, avec un soudain brouillard. Les temps changent très vite sur des amplitudes extrêmes. La topologie, le relief du terrain dans une mer tropicale comme celle de La Réunion en fait quelque chose d'unique. Il faut l'avoir vécu une fois pour comprendre. Le corps est soumis à des stress constants. C’est hyper énergivore, c'est ce  qui fait que les organismes craquent. C'est ce qui fait que François d'Haene, sur un parcours plus court et plus bas que l'UTMB, met entre 3 et 4 heures de plus.

Selon un sondage de L'Équipe (avril 2019), La Diagonale des Fous est considérée comme la course la plus mythique d'ultra-trail, vous êtes d'accord ?

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Sur les 100 miles populaires de la planète, je n'en vois pas un de plus difficile sur le circuit international.  Sauf si on sort du contexte... la Barkley par exemple.

Au-delà des légendes, comme celle de la Grand-mère Kal, une sorcière, dont les parents continuent à lire le conte pour effrayer les enfants désobéissants, la Diagonale des Fous-a-t-elle permis au grand public de découvrir l'île ?

Evidemment. Quand on est dans le sentier de la Kalla en direction de La Possession, bien souvent on y croise le diable affirment certains trailers. Il y a les légendes qui sont nées avec les esclaves. Je ne pense pas qu'il y avait une peur d'aller explorer les sentiers. Mais plus une espèce de flemme ou une ignorance. Jacky Murat, un des coureurs qui a participé à l'essor de la course à pied à La Réunion explique qu'il était frustré que des mecs venus d’ailleurs connaissent mieux sa propre île que lui. Je pense que le trail a permis aujourd'hui à des gens de découvrir leur île et que, derrière ça, ils ont pu découvrir un patrimoine, des cultures et des légendes.

La Diagonale des Fous est souvent comparée à l'UTMB. La comparaison tient-elle la distance ?

On va dire qu'il y a 3/4 épreuves qui historiquement se détachent en France : le Grand Raid, né en 1989, qu'on ne peut pas dissocier de l’histoire du trail mondial, l'UTMB (2003) qui a connu son succès très facilement parce qu'il faisait le tour du mont Blanc, sommet le plus haut d'Europe, avec toute l’histoire mythique de la vallée de Chamonix sans oublier la communication bulldozer des organisateurs. À côté, il y a le Grand Trail des Templiers (1995) ou encore la SaintéLyon (1952). L'UTMB et la Diag' sont deux courses de 100 miles, globalement comparables sur le parcours (170,1 km – 9789m D+ / 168,6 km – 9553m D+) et les deux grandes courses ont ait partie, dès on lancement, de l'Ultra-Trail World Tour, le circuit international qui regroupe toutes le splus belels coruses du monde (la Diagonale des Fous a quitté l'UTWT en 2017, NdlR) avec une forte population de coureurs étrangers, et une ambiance incroyable. Mais elles sont différentes,chacune ayant ses particularités. Ceci étant dit, si vous écoutez les coureurs qui ont participé aux deux courses, les élites comprises, tous affirment qu'il s'agit de la course la plus dure du monde.

Pourquoi La Diagonale des Fous est-elle sortie du circuit international ?

Il faut rappeler quelque chose : ce n'est pas l'UTWT qui a éjecté la Diag', c'est l’organisation du Grand Raid qui a décidé de partir. Le circuit mondial est dirigé par la famille Poletti, qui a créé l'UTMB et qu'elle a totalement verrouillée. Les Poletti ont créé l'ITRA (le système mondiale de classement des coureurs, NdlR) qui est présidée par le patron de l'UTMB. Ils ont lancé Livetrail, le chronométreur officiel de très nombreuses courses dans le monde, dirigé par le fils Poletti. Et aujourd’hui,  je crois tenir de source assez sûre que l'UTWT, censé être indépendant, vient d’être racheté par l'UTMB. L'UTMB regrettait que chaque année le Grand Raid fasse office de finale officieuse du circuit. Du coup, pour favoriser la venue de champions sur sa propre course, les organisateurs de l'UTMB se sont vus déclarés "Séries Bonus" du circuit, au même titre que le Marathon des Sables, qui n'a à peu près rien à voir avec une course de montagne, permettant ainsi aux coureurs d’obtenir plus de points que sur le Grand Raid (13000 poins contre 1000 points). Le Grand Raid a beau eu faire valoir qu'il était une course mythique de l'ultra-trail mondial, avec l'UTMB et la Western States, en Californie (qui ne fait pas partie du circuit mondial, NdlR) et qu'il ne pouvait pas être dévalorisé. Aucun terrain d'entente n'a été trouvé. Du coup, l'organisation du Grand Raid a décidé d'économiser les 30 000 euros de droit d'entrée demandé par l'UTWT afin de développer sa communication et d'inviter elle-même ses coureurs élites. Comme dit Robert Chicaud, le président de l'association Grand Raid, la Diagonale des Fous existait avaznt le World Tour, elle continuera sans et après.

La course a été créée par des métropolitains ; depuis 10 ans, les  métropolitains trustent les premières places. Quel avenir pour la Diagonale des Fous ?

Il va falloir surveiller de près l'évolution que va prendre la course. Il faudra, je pense, toujours accorder de l’importance et des places aux Réunionnais. La course a été certes créée par les métropolitains mais elle est aussi réputée, avec une aura et un engouement local de cette ampleur, c'est grâce à la mobilisation et la passion des Réunionnais.Qui vibrent à l'unisson. Si les organisateurs ne surveillent pas cela, les Réunionnais iront sur d'autres courses qui se développent, à tort ou a raison, sur l'île. L'ambiance exceptionnelle, unique et à nul autre pareil, c’est grâce aux Réunionnais, ne l'oublions pas. Il faut donner de l'intéret à la population pour qu'elle revienne revenir tous les ans. Car la Diagonale des Fous est un spectacle. Autant l'arrivée de la Diag est discutable (horaires, accessibilité) mais le départ est le plus beau départ du monde. Aucune course au monde n'a un départ aussi exceptionnel. C’est un festival. Incroyable.

 

C'est parti pour la Diagonale des Fous, l'ultra-trail le plus mythique

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