Le corps du trailer porté disparu mercredi 16 août dans le massif du Mont-Blanc a été retrouvé sans vie au fond d’une crevasse de 25 mètres, dans la face nord du mont Blanc. Le trailer était ingénieur à Lyon. Entretien avec le lieutenant-colonel Stéphane Bozon, patron du peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) de Chamonix.
Lyon Capitale : Quand avez-vous été averti de la disparition du trailer lyonnais ?
Stéphane Bozon (peloton de gendarmerie de haute montagne, Chamonix) : L'homme est parti mardi 15 août de Jonage, où il réside, pour se rendre à Chamonix. L’alerte a été donnée le soir même, vers 21h, par son épouse, qui n'avait pas de nouvelles. Son mari devait en effet reprendre son travail le lendemain. Toute la nuit, on a essayé de comprendre l'itinéraire précis que l'homme avait pu emprunter. On savait juste qu'il allait vers Les Contamines-Montjoie pour une activité de trail. On a alors contacté son opérateur téléphonique puis procédé à des recherches sur son véhicule. Avant minuit, on a réussi à trouver sa voiture, stationnée sur le parking du hameau de Bionnassay.
Dès lors, vous avez pu déterminer son itinéraire ?
Tout conduisait à penser qu'il était parti soit en direction de l'aiguille du Goûter, soit du mont Blanc. Il était minuit, il faisait nuit noire, il n'était pas possible d'envoyer un hélicoptère. On a donc décidé de reprendre les recherches à 6h le lendemain, mercredi. Pendant toute la journée, nous sommes restés sur le terrain. On a commencé par le secteur du Nid d'Aigle, puis le versant des Houches sur le dérochoir, derrière la cabane des Rognes. On a également cherché du côté de Tête Rousse. De là, on a concentré nos recherches sur le couloir du Goûter. On a croisé les premiers alpinistes en partance pour le sommet du mont Blanc. Mais aucun signe de vie de l'homme qu'on recherchait. On a sondé la rimée du couloir du Goûter, l'endroit où l'on peut voir les corps des alpinistes qui ont dévissé dans le secteur. On est même allé jusqu'au col du Tricot. Rien. On s'est reposé, on a fait un point et le plein de carburant pour l'hélicoptère.
Quand êtes-vous repartis ?
Immédiatement. On a refait la première reconnaissance dans son intégralité, cette fois avec une meilleure clarté. Là, on était sur le Dôme du Goûter, les Bosses, la face nord, le sommet du mont Blanc, et aussi sur les faces italiennes car, si on chute, ça peut aussi être du côté italien. Toujours rien.
À ce moment précis des recherches, que vous dites-vous ?
On se demande si l'homme n'a pas pris une autre direction que celle qu'on avait envisagée. On a alors envoyé un maître-chien à la voiture garée à Bionnassay pour tenter un pistage. Malheureusement, nous avons eu peu de choses probantes qui auraient pu nous conduire dans des directions opposées aux itinéraires du mont Blanc.
À quel moment avez-vous lancé un appel à témoins ?
J'ai décidé qu'on se fasse poser sur le sommet du mont Blanc, avec mes hommes. Il était midi. On a commencé à redescendre le mont Blanc. Progressivement, on a fouillé toutes les crevasses. C'est après qu'on s'est résolu à lancer un appel à témoins. Bref, on a agité Facebook. Dès lors, les témoignages ont afflué. Encore a-t-il fallu trier ces témoignages, car de nombreux trailers montent aujourd'hui jusqu'à Tête Rousse. Vers 13h30, mes hommes ont trouvé un bâton, en aval de la Grande Bosse, à 4 500 mètres d'altitude, entre le refuge du Goûter et la Petite Bosse [la voie dite normale pour arriver au sommet du mont Blanc, NdlR]. Ce bâton ressemblait à un bâton de ski qu'un alpiniste aurait pu perdre.
On a aussitôt demandé à l'hélicoptère de faire une reconnaissance dans la face nord du mont Blanc. Malgré les conditions aérologiques, l'hélicoptère est parvenu à faire quelques rotations qui nous ont permis de repérer des traces de dévissage et ce qui peut ressembler à un petit gant, légèrement enfoui dans la neige.
Vous vous êtes alors concentrés sur le bâton et le gant...
La nuit est tombée et on n'a guère pu faire plus. On ne voyait strictement plus rien. Le lendemain, jeudi 17 août, on est remonté à l'endroit précis vers 8h du matin, mais il était impossible d’aborder la face nord car l'hélicoptère ne parvenait pas à rester en stationnaire. En début d'après-midi, une de mes équipes s'est fait poser à proximité du lieu de la probable chute. Mes hommes ont sondé les crevasses dans la pente au nord de la Grande Bosse. À la troisième crevasse, ils ont découvert quelques gouttes de sang. Ils sont descendus, encordés, et sont tombés sur d'autres traces de sang, dues à une chute. C'est à ce moment qu'ils ont pu localiser le corps, dans une crevasse tortueuse de 25 mètres de profondeur. Il était 16h. L'homme qu'on recherchait depuis deux jours était mort. On a ramené le corps à Chamonix à 18h.
Vous avez dit que l'homme était parti en “activité trail”. Quel équipement portait-il ?
Il portait un équipement de trail justement. Avec des chaussures de sport aux crampons absolument pas adaptés. Je force le trait, mais ce sont des crampons pour grands-mères, pour marcher en ville ! L'homme portait également un collant et un pantalon à peine imperméable, ainsi qu'une veste légère et un sous-vêtement. Pas de quoi affronter le froid. On suppose qu'il a fait le mont Blanc car deux guides l'ont croisé en descente, dans le brouillard, après la deuxième Bosse.
On vous sent remonté...
Je suis furieux, car cet homme laisse une famille derrière lui. Avec tout le respect que j'ai pour son épouse et ses enfants, ce que cet homme a fait sur le mont Blanc, équipé de cette manière et en mode trail, dépasse l'entendement. Le mont Blanc, c’est de la haute montagne, de l'alpinisme avec un grand A !
Jeudi 17 août, le maire de Saint-Gervais a pris un arrêté réglementant l'ascension du mont Blanc depuis la voie Royale imposant un équipement minimum aux ascensionnistes. Approuvez-vous cette décision ?
Je suis le patron des secouristes de Chamonix, je n'ai pas à commenter cette décision. Mais je ne m'attendais pas à ça tout de suite, je pensais qu'il y aurait des discussions en amont. Cela dit, c'est une réaction entendable. Encore une fois, avec le respect que j'ai pour cette famille, ce qu'a fait cet homme est une bêtise sans nom, une inconscience pure. Il était peut-être bon en trail, mais il ne connaissait sûrement pas les dangers de la haute montagne. On est dans l'irrationnel. Au-delà de Tête Rousse (3 200 m), et même avant, on se met en danger à tout moment.
Vous dites aujourd'hui voir des trailers grimper jusqu'au refuge de Tête Rousse, à 3 200 mètres. L'ultratrailer Kilian Jornet a récemment posté une vidéo où on le voit au sommet du mont Blanc en short, T-shirt et baskets. Ça vous inspire quoi ?
Au départ, il était alpiniste. Mais ce qu'il véhicule participe de tout cela. On savait que ça devait arriver. On avait vu les prémices quand il a mis les images de son ascension en short, T-shirt et baskets. On s'est dit : ça y est, on y est... Depuis quelque temps, le trail dans le couloir du Goûter commence à prendre. Les trailers montent de plus en plus en altitude. Mais le couloir du Goûter, c'est de l'al-pi-nis-me. Point ! L'effet Jornet, en voilà le résultat : un dévissage dans une pente glaciaire et, au bout, un mort. C'est le phénomène médiatique autour du trail en haute montagne. Courir sur les sentiers, ça n'a rien à voir avec grimper en haute montagne !