INTERVIEW - Candidat à la primaire d’Europe Écologie-Les Verts, Nicolas Hulot a accordé une longue interview à Lyon Capitale TV (que nous avons retranscrite pour ceux qui préfèrent la lecture à la vidéo). L’animateur d’Ushuaïa y explique les raisons de son engagement, les “bonnes surprises” qui lui font oublier les “petites bassesses”, et revient longuement sur sa conversion antinucléaire après Fukushima, “une leçon tragique de l’histoire”.
Lyon Capitale : Les primaires écologistes sont ouvertes. Quand vous vous êtes lancé dans la course, on vous avait promis que ça allait être l’“enfer”… Qu’est-ce que vous pensez aujourd’hui de cette expérience ?
Nicolas Hulot : Pour l’instant, ça reste acceptable. C’est vrai qu’avant que je me décide on m’a dit en boucle combien ça allait être douloureux. C’est marrant car, quand on croise des gens dans la rue, la première chose qu’ils vous disent, c’est : “Tenez bon, bon courage.” C’est l’idée que se font les gens de la politique… C’est un peu dommage qu’on ait cette idée-là, que cette participation à la vie de la cité se caractérise par une forme de violence ou d’agressivité.
C’est rude, car c’est inhérent à la nature humaine, dès qu’il y a une conquête de pouvoir. Quand on est dans le collectif, on peut parfois abdiquer sa conscience individuelle pour une espèce d’inconscience collective. Je me suis programmé pour les mauvaises surprises, mais j’ai tous les jours de bonnes surprises. Il y a aussi des côtés exaltants, encourageants. (…) Il y a la petite politique, les petites bassesses (…). Globalement, on ne peut me surprendre qu’en bien. Il y a des moments où on se dit : Je comprends que les gens ne votent plus, que des gens de qualité ne viennent pas en politique, parce qu’il y a une forme de compromission. Est-ce que je serai armé pour aller jusqu’au bout ? Je n’en sais rien. Je me suis programmé comme pour un tour du monde à la voile en solitaire… Non pas que ce soit une aventure solitaire, car tous les jours l’équipage grossit. Je me dis : Cette semaine, il va y avoir des moments de doute, d’accalmie, de tempête, un moment où je vais me prendre une bombe sur la tête.
Mais, derrière, il y a un enjeu terrible. Je ne suis pas venu là par ego, mais parce que j’ai de l’espoir et du désespoir en moi. Si je m’indigne, il faut aussi que je donne tout ce que je peux. J’ai pensé que, derrière le pacte écologique de 2007, l’écologie allait être ancrée dans les grandes formations politiques. Mais ce n’est pas le cas. C’est un sujet optionnel, conjoncturel. La mutation culturelle n’a pas opéré. S’il n’y a pas un truc qui jaillit quelque part en Europe (…), au moins j’aurai essayé. Je sais que mon seul regret aurait été de ne pas essayer au motif que c’est un univers rude.
C’est rude aussi dans votre parti ?
Oui, vous voyez comment ça se passe dans les formations politiques, mais je n’ai pas été beaucoup hué…
Vous l’avez été lors du rassemblement contre le gaz de schiste à l’Assemblée nationale…
Ce qui est amusant, c’est que ceux qui m’invitent et me sifflent m’auraient engueulé si je n’y étais pas allé… Mon engagement écologique est forcément plus singulier que l’engagement traditionnel. D’abord, parce que les gens qui ont fustigé ma fondation n’ont jamais vraiment su ce qu’on a fait pendant vingt ans, parce qu’on ne porte pas en bandoulière tout ce à quoi nous avons contribué. L’intérêt de la primaire a été de l’expliquer et, tout d’un coup, les préjugés tombent. (…) 90 % des adhérents seront derrière moi si je suis candidat. Et puis il y a des gens qui sont prisonniers de leurs obsessions, parce que tout d’un coup ils sont obligés de réviser leur jugement et ça leur fait perdre un ennemi identifié. Et souvent, avoir un ennemi, cela donne un sens à sa vie.
Quand vous avez parlé d’entente avec Jean-Louis Borloo, votre parti vous est tombé dessus. Est-ce que vous êtes déçu de voir que l’écologie n’arrive pas à sortir des clivages politiques ?
J’ai dit que Jean-Louis Borloo avait souhaité me voir pour envisager quelque chose en commun. J’ai écouté l’hypothèse et j’ai refermé aussitôt. Cela a fait un buzz énorme. Quand Eva Joly va frapper aux portes du Modem pour être tête de liste, et qu’après elle s’engage auprès d’Europe Écologie, ça ne fait pas le buzz – et c’est normal, car c’est bien l’esprit d’Europe Écologie d’accueillir les gens d’où qu’ils viennent. (…) Mais ce que cette phrase a provoqué a été pour moi assez révélateur. Elle a établi une frontière [avec] une écologie qui aurait tendance à ne pas croire en elle et qui n’est donc pas prête à s’ouvrir. C’est probablement celle de Stéphane Lhomme. Moi, je suis ouvert d’esprit, même si cela ne veut pas dire que je tiens une auberge espagnole. Je ne vais pas faire du tri sélectif à l’entrée d’Europe Écologie. Il y a une maison commune, des valeurs et des objectifs en commun. Ce qui m’importe, ce n’est pas de savoir si les gens sont convaincus d’hier ou d’avant-hier.
En 2005, vous affirmiez dans Lyon Capitale : “Le libéralisme est une des causes fondamentales des crises économiques.”
Oui, déjà en 2005. Je n’avais pas attendu la campagne de 2012 pour m’exprimer sur ces sujets-là ! Quand on prend le soin de lire mes bouquins, il y a tout un système que je dénonce depuis longtemps, sauf que maintenant que je suis candidat cela s’entend mieux. Moi aussi j’ai progressé. Je suis passé d’une approche environnementaliste, qui ne fait pas de vous un écologiste, et au fur et à mesure vous vous rendez compte que ce qui sécrète la rareté, détruit la nature, sécrète des inégalités… c’est le néolibéralisme. Si vous voulez traiter non pas les symptômes mais les causes, il faut s’attaquer au modèle.
Et quel est votre modèle ?
Sortir de la folie des grandeurs. Je suis pour m’appuyer sur le tissu des petites et moyennes entreprises, parce que c’est là qu’il y a le plus de flexibilité pour créer de l’emploi, si on les aide un petit peu. Mais ce qui est surtout important pour moi, c’est la révision de notre fiscalité. La majorité de nos prélèvements obligatoires porte sur le travail, alors que la tragédie de notre société est le chômage… Il est normal que la fiscalité soit mise au service de l’environnement (…).
Au lieu de taxer le travail, on peut taxer les formes de profit faciles : le capital, les machines, les actionnaires. On va s’apercevoir que le modèle agricole coûte plus à la société que ce qu’il lui rapporte, que les produits envoyés à l’autre bout du monde pour revenir, tout ça ne sera plus possible. Il faudra rationaliser les flux et faire revenir une partie de notre économie dans notre espace. C’est une remise à plat. Les crises se multiplient, on perd la main. On est fragile et vulnérable, car on maintient un système obsolète. Ce n’est plus possible, c’est une réalité physique mais pas idéologique, et nous sommes les seuls à le dire. L’économie repose sur l’exploitation des matières premières. Si on continue comme ça, la majorité des matières premières sera supprimée. Il y aura des tensions sur les prix.
On a un problème en France avec l’agriculture, comment on le résout ?
On sous-traite une partie de notre agriculture au Brésil et aux États-Unis, on importe du maïs et du soja au détriment de la forêt amazonienne. La première chose est d’avoir un modèle agricole qui nous permette d’avoir une autonomie alimentaire. L’agriculture productiviste ne crée pas d’emplois. Le modèle que nous proposerons, c’est le bio et l’agriculture de proximité. On n’est pas à l’abri d’une crise alimentaire.
Comment sort-on du nucléaire en une génération, comme vous le proposez ?
Si Angela Merkel pense que l’Allemagne, qui a moins de réacteurs que nous, peut sortir du nucléaire, c’est qu’il y a des scénarios de sortie possibles. La Chine développe huit fois plus vite les énergies renouvelables que le nucléaire… Les Chinois ne sont pas plus idiots que nous. La France a une singularité : on a fait du “tout nucléaire”, tout du moins pour notre électricité, donc la sortie sera plus longue.
Par quoi remplacer le nucléaire ?
Les écologistes portent cet objectif depuis longtemps, et depuis longtemps on les prend pour des illuminés. Le GIEC* vient de dire que d’ici 2050 l’humanité pourra s’approvisionner à 80 % avec des énergies renouvelables. Cela prouve que c’est faisable, hors hydraulique et à technologie constante. Il y a des ingénieurs de haut niveau qui ont réfléchi aux scénarios de sortie et qui montrent que, non seulement ce scénario est techniquement envisageable, mais [qu’il est] socialement et économiquement bénéfique. L’un des leviers, c’est une politique drastique d’efficacité énergétique. La France s’est engagée à réduire de 20 à 30 % sa consommation d’énergie. Si on atteint ces objectifs et qu’on augmente les énergies renouvelables, on va pouvoir commencer à fermer les vieilles centrales ou les moins sûres.
L’idée, maintenant, c’est d’accélérer ce processus pour les fermer toutes. (…) On bricole, pour l’instant, simplement parce qu’il y a des lobbies comme Areva qui vendent des éoliennes comme on vend des savons. Ils sèment des éoliennes dans le paysage, mais ça ne change rien, on aura autant de réacteurs. Le scénario de sortie impliquerait un développement industriel, ce qui fait que les coûts vont baisser. C’est de l’emploi et c’est autant d’énergie qu’on n’ira pas chercher ailleurs. Dans notre balance commerciale, c’est 60 milliards d’euros qu’on dépense par an pour acheter du gaz, du charbon et du pétrole !
Ce sera pire en sortant du nucléaire…
Ce sera pire avec le nucléaire. Parce que justement les énergies qu’on va produire seront en interne, les métiers qu’on va développer pour ces filières-là ne sont pas délocalisables. À un moment, il va falloir revisiter nos certitudes. Qu’est-ce qui est pire ? Reproduire ce qui se passe à Fukushima ? Il faut se mettre à la place des hommes qui étaient dans un rayon de 50 kilomètres… À choisir, je préfère le risque d’une petite rupture épisodique d’approvisionnement que de reproduire Fukushima. Je suis intimement convaincu que le scénario va être productif en termes d’emploi et bénéfique en termes de coût.
Vous aviez des doutes avant Fukushima ?
Avant Fukushima, je n’ai jamais eu de doutes sur le fait que le nucléaire n’était pas la réponse à nos besoins en énergie, j’étais juste plus nuancé que les écologistes sur la singularité de la France. Je suis rentré dans ce débat par la clé du changement climatique, qui est mon obsession, et je sais que les souffrances à venir liées aux changements climatiques vont être terribles. Je faisais confiance aux ingénieurs nucléaires qui me disaient qu’en France, dans un pays économiquement et politiquement stable, il n’y avait pas de souci à se faire. Ce mythe-là s’est définitivement effondré avec Fukushima. Il n’y a plus à tergiverser : si on ne tire pas des leçons de Fukushima, on ne peut pas prétendre faire partie de la civilisation. Il y a des leçons tragiques de l’histoire qu’il ne faut pas reproduire.
Sur le Grenelle de l’environnement, vous étiez un peu juge de paix, vous l’avez beaucoup suivi. Qu’est-ce que vous en retenez ? Avez-vous eu l’impression que cela a été de la communication plus que de l’action ?
J’ai une position nuancée là-dessus, parce que j’essaye d’être objectif. Le bilan dépend de ce qu’on attendait de ce Grenelle. Si on attendait que le Grenelle soit l’alpha et l’oméga de la mutation écologique, c’est sûr qu’on peut être déçu. Si c’était de savoir ce qu’on pouvait faire de mieux par rapport au modèle que l’on connaît, c’était une magnifique séance de rattrapage. Le Grenelle n’est pas une coquille vide. Il y a des choses dans le domaine du bâtiment, des normes qui sont assez structurantes, mais c’est toujours dans un modèle identique. Ça fait partie des étapes indispensables pour que la société se prépare à la mutation que nous les écologistes nous voulons porter. Maintenant, il y a eu des engagements du Grenelle et il y a la sensation que l’on revient sur ces engagements, parce que dans la majorité actuelle le Grenelle est un peu passé aux forceps. Dès qu’on a le dos tourné, on voit bien que ça n’a pas payé électoralement en retour.
On se souvient de la petite phrase de Nicolas Sarkozy : “L’écologie, ça suffit maintenant.”
Ce n’est pas la peine de se faire des illusions, mais de là à dire que le Grenelle n’a servi à rien, ce n’est pas vrai. Cela a libéré des énergies, a eu un certain nombre d’effets structurants, dans les collectivités locales, dans un certain nombre de secteurs. Mais c’est insuffisant ! Cela n’a pas été une mutation écologique, mais l’aménagement d’un système, des corrections à la marge.
Vous parliez de l’UMP, quel bilan tirez-vous de la présidence de Nicolas Sarkozy ?
Franchement, si je suis candidat, c’est que je ne pense pas que le bilan soit satisfaisant. Ce que je vois surtout, c’est qu’on est dans une société où les tensions n’ont jamais été aussi fortes. J’ai dit, quand je suis entré en politique, que c’était pour apaiser le débat public, parce que j’ai trop conscience que quand on stigmatise des gens, quand on emploie le mot “Karcher”, qui peut paraître anodin, je sais les effets dévastateurs que cela entraîne. C’est facile de souscrire à la violence des mots, mais il faut aussi avoir conscience des tensions, y compris dans notre pays. Il faut avoir une vision plus globale dans une planète qui est sous tension. Soyons dans la proposition plutôt que dans la stigmatisation.
* Groupement international des experts chargés du changement climatique.