Comment la crémation renverse la tradition funéraire

Selon la dernière étude des Pompes funèbres générales (octobre 2013), plus d’un Français sur deux a choisi la crémation plutôt que l’inhumation pour ses propres obsèques. Une petite révolution rituelle qui est le reflet de la société.

L’évolution est spectaculaire : de 1 % à la fin des années 1970, la crémation est choisie en 2013 par 36 % des Français. “C’est un mouvement continu depuis plusieurs années et il n’est pas près de s’arrêter, observe François Michaud-Nérard, directeur général des services funéraires de Paris et auteur d’Une révolution rituelle – Accompagner la crémation. Selon la dernière enquête réalisée par les Pompes funèbres générales (PFG), à la mi-octobre, ils seraient même 53 % à préférer la crémation à l’inhumation pour leurs propres obsèques. “La moitié des gens l’ont prévu dans leur contrat obsèques”, assure le spécialiste, pour qui les raisons ne sont pas forcément économiques (la crémation la moins chère coûte autant que l’inhumation la moins chère, soit environ 1 300 euros), mais plutôt symboliques : “Nous vivons dans une société où il y a une idéalisation du corps. Depuis la conception jusqu’à la fin de vie, tout est médicalisé. Notre corps, qui a fait l’objet de tant d’attention de notre vivant, doit-il pourrir entre quatre planches quand on est mort ?” À la raison hygiénique, François Michaud-Nérard ajoute celle de la relation avec les proches : “Les gens ne veulent pas être à la charge de leur famille. Le corps qui devient cendre est une manière de ne plus être un poids.”

Le retour des cendres à domicile est interdit*

Autorisée en France depuis 1887 et la loi sur la liberté des funérailles, “la pratique de la crémation date du début du XXe siècle, au moment de la séparation de l’Église et de l’État, note Tanguy Chatel, sociologue et anthropologue spécialiste de la fin de vie. Mais le phénomène, marginal jusque dans les années 1970, s’est ensuite fortement accéléré.” Jusqu’à carrément opérer un renversement du rite funéraire, dans un pays de tradition catholique où la crémation était encore interdite par l’Église il y a cinquante ans…

L’acte de brûler le corps d’une personne décédée, de recueillir ses cendres avant de les disperser, de les enterrer ou de les placer dans un columbarium est encadré depuis 2008. À l’occasion d’une grande réforme de la législation funéraire, la loi a donné un statut juridique aux cendres. Les crématoriums se sont aussi multipliés. D’une petite dizaine à la fin des années 1970, la France compte aujourd’hui 160 structures, qui se partagent, de manière plus ou moins équitable, le territoire et sont plus ou moins bien acceptés par les populations.

Cérémonies célébrées “à la chaîne”

“La mort nous parle toujours de l’époque dans laquelle nous vivons, analyse Tanguy Chatel. Le rite funéraire de la crémation apparaît en phase avec notre monde où tout va vite (la crémation dure environ une heure et demie) et où l’on a besoin de tout maîtriser.” Mais, pour le spécialiste, auteur en 2012 d’une étude sur le rapport à la mort des Français, il y a plus un rejet de l’inhumation qu’un attrait pour la crémation. Le recul des pratiques religieuses n’est pas indifférent à cette tendance. D’ailleurs, selon les résultats de l’enquête des PFG, les cérémonies religieuses, qui représentent encore 70 % de l’ensemble, ont diminué de 5 % depuis 2008. “Un peu plus de 50 % des Français se déclarent catholiques, mais seulement 4 à 8 % d’entre eux sont pratiquants, indique Tanguy Chatel. Ainsi, entre 2004 et 2010, la part des personnes ayant choisi l’inhumation est passée de 48 % à 28 %, alors que la crémation a continué de progresser.” Parallèlement, selon la même étude, le nombre d’indécis face à l’organisation de leur propre mort a été multiplié par près de quatre, passant de 5 % à 19 %.

“Les gens veulent recourir à la crémation mais, quand ils ont assisté à une cérémonie dans un crématorium, ils sont beaucoup plus hésitants, explique le sociologue. Cette expérience est souvent vécue comme violente, voire traumatisante. Les crématoriums sont très souvent des lieux peu appréciés, froids, où les cérémonies sont parfois célébrées “à la chaîne”. Paradoxalement, les gens veulent que tout aille vite mais ils ont aussi besoin de rituel, de symboles.” Selon le sociologue, les inconvénients de la crémation devraient freiner sa progression : “La dispersion des cendres n’est pas évidente d’un point de vue psychologique, ni le fait de repartir avec une petite urne. Le recueillement devant une tombe est à échelle humaine.”

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* Voir : Crémation : que peut-on faire des cendres ?

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