Le président de la région Sicile n’a pas fait de détail, en licenciant dès son arrivée l’ensemble du service de presse garni de 21... rédacteurs en chef. Une décision motivée par des considérations avant tout financières.
Un vent de changement souffle sur l’Italie tout entière. Les 7 millions de voix récoltées par l’humoriste Beppe Grillo lors des élections générales de février démontrent que rien ne sera plus jamais comme avant. Cet air avait commencé à souffler fortement de Sicile au mois d’octobre, poussant à la présidence de la région le leader de l’antimafia Rosario Crocetta, soutenu par le score imposant des “grillistes”.
Tous rédacteurs en chef
Grillo tient un discours populiste de gauche qui touche au cœur les classes les plus défavorisées, sensibles aux invectives du tribun contre les emplois publics de complaisance, le clientélisme, le favoritisme et la mafia. Il était donc logique que le premier geste, symbolique, de Rosario Crocetta concerne le licenciement massif du bureau de presse de la région, nanti de 21 journalistes dotés d’un imposant privilège : ils étaient tous employés au grade de rédacteur en chef, avec un salaire minimum de 4 000 euros nets. Cette situation est inimaginable en France, où il est exclu que l’on puisse conserver un statut de journaliste en intégrant un emploi de communicant dans une collectivité qui, par essence, n’est pas une entreprise de presse.
Le governatore justifie sa fermeté face à la spécificité sicilienne : “C’est une décision avant tout financière, car ils sont bien trop nombreux. J’ai voulu entamer une discussion avec eux et envisager des réductions de salaire, mais ils n’ont rien voulu savoir. Ils se sont tournés vers le syndicat des journalistes pour les défendre. Mais je suis dans mon bon droit, rien ne m’oblige à respecter des contrats de travail qui ne sont pas prévus par la loi. Le statut des journalistes n’est pas applicable légalement.” Le tribunal du travail de Palerme semble lui donner raison, qui a repoussé récemment le recours pour “comportement antisyndical” déposé par la puissante Association sicilienne de la presse, une émanation du FNSI (équivalent de notre SNJ).
“On a peur de toucher à leurs privilèges”
Mais R.C. n’a gagné que le premier round. La justice examinera prochainement une multitude de procédures individuelles. L’histoire du bureau de presse de la région Sicile est à l’image de pratiques clientélistes qui semblent aujourd’hui révolues : “Ces journalistes ont été embauchés avec ce système. Chaque président de la région choisissait au moment de son élection ceux qui assureraient sa communication, sans pour autant licencier ceux choisis par ses prédécesseurs”, déplore Rosario Crocetta, qui écarte en revanche tout lien des intéressés avec la mafia. Il ne voit qu’une explication à ce comportement : “On a peur de toucher les journalistes, de toucher à leurs privilèges.” Mais lui n’a peur de rien. Il a choisi dans un premier temps de se passer de service de presse : “J’ai en tout et pour tout une collaboratrice et je rédige moi-même mes communiqués.” Il entend plus tard réformer profondément l’organisation et le fonctionnement du service.
Quelle était la réalité du travail du bureau ? L’un des licenciés, Fabio Di Pasquale, affirme que le service produisait 4 500 communiqués par an et que tous les journalistes travaillaient. Tous ? Pas tout à fait, si l’on en croit le Presidente, qui pointe du doigt le salaire de nabab (12 000 euros par mois) du fantomatique chef du bureau de Bruxelles... Mais Alberto Cicero, qui s’exprime au nom de l’Association sicilienne de la presse, persiste et signe : “Les gens du service de presse travaillent beaucoup. Il y a trois bureaux : un à Catane [2e plus grande ville de Sicile], un à Rome, un à Bruxelles.”
Malaise dans la profession
Il n’empêche, comment justifier ces salaires en or qui représentent un budget colossal de 3,5 millions d’euros ? La profession n’est pas franchement à l’aise face à des privilégiés qu’il faut en même temps défendre dans l’intérêt de la corporation. La journaliste de La Sicilia et écrivaine Maria Lombardo dénonce par principe la purge, qu’elle juge trop brutale dans sa forme. Mais elle ne peut que reconnaître la légitimité de la décision sur le fond : “Ces journalistes n’ont pas été recrutés par concours où les meilleurs sont choisis. Ce sont des recrutements effectués par des politiciens.” Crocetta agirait donc “en conformité avec ses engagements”.
Daniele Mastrogiacomo nous apporte un éclairage plus pragmatique. Ce responsable de la rubrique Étranger au quotidien La Repubblica à Rome a travaillé en Sicile par le passé. Il connaît bien la situation locale, tout comme la profession puisqu’il occupe des fonctions de conseiller à l’ordre des journalistes du Lazio*. “Le mouvement insufflé par Beppe Grillo balaie tout sur son passage, explique-t-il. Ces grands services de presse dans les régions relèvent du passé. Il n’est plus possible, compte tenu de la situation économique actuelle, de continuer à financer de tels emplois. Ce n’est pas une question politique, mais un impératif économique. Je comprends la position des journalistes concernés, qui vont perdre leur emploi. Mais ils sont trop nombreux, et ils le savent très bien.”
* Ou Latium, province de Rome.
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Cet article est extrait d’un dossier sur Rosario Crocetta et la mafia sicilienne paru dans Lyon Capitale-le mensuel n°721 (avril 2013).
À lire également : l’entretien avec Rosario Crocetta, et notre décryptage de la Nouvelle stratégie de Cosa Nostra.