Jean-Louis Touraine
© Tim Douet

Jean-Louis Touraine écrit à Lyon Capitale

Suite à la publication dans nos colonnes les 8 (lyoncapitale.fr) et 26 avril (Lyon Capitale-le mensuel de mai 2013) d'articles sur ses relations avec des sociétés basées en Suisse et aux Bermudes, le premier adjoint au maire de Lyon a souhaité utiliser son droit de réponse. A son habitude, Lyon Capitale n'émettra aucun commentaire sur celui-ci.

“Sur votre site, en avril, ainsi que dans votre édition mensuelle du mois de mai, vous publiez deux articles où vous me mettez en cause. Je suis surpris, non que vous donniez une information avec douze ans de retard aux Lyonnais sur une découverte saluée alors dans le monde médico-scientifique, mais que vous assortissiez cette avancée de soupçons, au moment du scandale Cahuzac et à moins d’un an des élections municipales.

En 2000, mon équipe et moi-même publions en effet le premier modèle des thérapies géniques du sida efficace chez la souris humanisée. Pour votre information, la thérapie génique est une modalité extrêmement performante de traitement curatif et non pas un vaccin curatif. Contactés par un groupe international concerné par les dépôts de brevets, M. Kamel Sanhadji et moi donnons notre accord à cette démarche (en excluant toute rémunération, hors celle réservée au fonctionnement du laboratoire de recherche). Du fait de la publication antérieure dans la revue AIDS, un brevet ne peut être envisagé qu’aux États-Unis (pays où la réglementation le permet), dans un délai alors limité à quelques semaines.

En chercheurs que nous sommes, M. Sanhadji et moi nous occupons alors des aspects médico-scientifiques, laissant au groupe international le soin de régler les aspects administrativo-juridiques. Dans le temps bref imparti, seul un cabinet des Bermudes, rompu au droit anglo-américain, répond et un dépôt de brevet “à titre conservatoire” est initié. Dès l’année suivante, des résultats additionnels nous montrent que la thérapie génique applicable à l’homme devra vraisemblablement utiliser d’autres vecteurs (éléments assurant la greffe des gènes thérapeutiques dans les noyaux des cellules des patients). Le brevet n’est donc pas confirmé et les sociétés sont dissoutes.

L’“affaire des Bermudes” porte donc sur un brevet virtuel avec absence de financement. Si brevet il y avait eu, avec d’éventuels profits, ceux-ci auraient subi les règles du droit américain (brevet déposé aux États-Unis) et le financement généré par notre recherche aurait été soumis aux prélèvements fiscaux appropriés lors de sa mise à disposition non des chercheurs mais du laboratoire de recherche, pour son fonctionnement.

Vous feignez de découvrir qu’il existe des liens entre recherche privée internationale et recherche publique. Heureusement ! En effet, pour être plus productive, la recherche publique reçoit une part de son financement par des subventions privées. De plus, le coût du développement d’un nouveau traitement est de l’ordre d’un milliard d’euros. Quel laboratoire public pourrait accéder à de telles ressources ? La démarche est donc naturellement la suivante : découverte dans un laboratoire de recherche fondamentale, puis dépôt d’un brevet et enfin transfert à un laboratoire industriel international.

Il n’y a là rien d’opaque. Tout est parfaitement transparent, légitime et à encourager si l’on souhaite que la France ne perde pas son rang dans l’innovation.

Vous me prêtez des liens de proximité avec la société Mymetics. Ceux-ci ont été limités au financement transitoire par Viraid-Mymetics d’une activité de recherche dans mon laboratoire. Ainsi, de 2000 à 2004, 637 619 francs (c’est-à-dire moins de 100 000 euros, soit moins de 130 000 dollars) ont au total été versés à mon laboratoire. On est bien loin des 500 000 dollars évoqués dans votre article. L’essentiel de cette somme a peut-être été attribué à un autre laboratoire pour des travaux très différents, par exemple sur d’éventuels vaccins.

Pour être très précis, le travail que nous avons effectué dans le cadre de notre partenariat avec Mymetics n’a pas été entièrement rétribué et il reste à cette société une dette de 5 657 euros, confirmée par le tribunal de commerce de Lyon. Vous indiquez que MYmetics aurait émis des actions en faveur de mon association de recherche. Compte tenu de la très faible valeur de ces actions, il s’agit d’une petite somme, probablement provisionnée par Mymetics dans l’intention louable de diminuer un peu le montant de la créance.

Plus loin, vous mentionnez que les sociétés Viraids, dirigées par des financiers, auraient d’autres activités industrielles légales, hors du champ médical. Cela ne nous concerne pas. Les chercheurs s’assurent uniquement du bon respect des principes éthiques et des réglementations nationales, pour consacrer l’essentiel de leur temps à la recherche.

Je vous remercie de me qualifier de “figure morale de l’équipe de Collomb”. Je le prends comme un compliment… et une reconnaissance de ma modeste initiative lorsque, il y a plus de trente ans, je créais le premier comité de bioéthique en France. L’éthique scientifique et médicale m’est toujours, en effet, apparue comme primordiale. C’est pourquoi il n’y a jamais eu d’“excursion aux Bermudes” ni d’“affaire des Bermudes” que dans l’imagination journalistique. D’ailleurs que pourrait-il y avoir à soupçonner de la part d’un médecin-chercheur salarié refusant toute activité privée et tout financement personnel de son travail de recherche ? Est-il condamnable de souhaiter faire progresser les traitements médicaux en assurant, de façon désintéressée, une recherche productive ?

Mon équipe et moi-même entreprendrons à nouveau des démarches comparables au bénéfice des malades du sida. Par devoir et respect à ceux-ci et par considération pour la recherche médicale française.”

Jean-Louis Touraine

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