ENQUÊTE – Longtemps oublié des plans d’investissement, le réseau régional a profité des budgets transports de la région pour subir un lifting complet. Celui-ci n’est toutefois que superficiel : les rames ont été changées, mais les rails présentent des signes de faiblesse qui occasionnent de nombreux retards.
En Rhône-Alpes, comme dans beaucoup d’autres régions, la SNCF se félicite d’avoir su trouver en Jean-Jack Queyranne, le président (PS) du conseil régional, et sa majorité un partenaire aux latitudes budgétaires nettement plus confortables que l’État. Au début des années 2000, les régions se sont vu confier la compétence des trains régionaux (TER). Dans une période économiquement favorable, elles ont beaucoup investi en achat de nouvelles rames. Exit donc les vieux wagons des Trente Glorieuses.
“Nous avons bien fait. Au vu du contexte économique actuel, nous aurions du mal à passer des commandes si importantes. À l’époque, nous avions plus des problèmes de confort que de sécurité, même si les deux pouvaient se rejoindre. Aujourd’hui, il n’y a ni l’un ni l’autre, mais toujours des efforts à faire en matière de régularité”, note Bernard Soulage, ancien vice-président régional en charge des transports au moment du renouvellement des rames de TER.
Toujours plus avec des rails usés
Par “régularité”, dans le jargon du rail, il faut entendre : retards. Dans la région, les problèmes liés au train concernent moins le matériel roulant que le rail et tout ce qui l’entoure. Le mal est plus insidieux. L’usure du temps ronge les kilomètres de voies rhônalpins. Le réseau en lui-même n’a pas bénéficié d’un lifting aussi important que les rames commandées par la région.
“Depuis que la maintenance a été partagée entre la SNCF et RFF, les opérations de maintenance sont plus compliquées. L’agent SNCF n’est plus maître des travaux à effectuer, RFF peut arbitrer. Nous sommes donc obligés de nous adapter en fonction des reports d’entretien qu’il nous oppose. On essaie donc de faire du neuf avec du vieux. Nous faisons durer certaines pièces plus longtemps. Pour résumer, c’est comme si vous changiez votre courroie de distribution sur votre voiture tous les 150 000 kilomètres au lieu de tous les 120 000 kilomètres. Cela comporte bien sûr une part de risque de casse plus importante. Les reports concernent beaucoup de composants : le ballast, les caténaires, les rails”, note Laurent Goutorbe, délégué syndical CFDT à la SNCF.
Conséquence de ces petits signaux d’usure, la compagnie ferroviaire ajuste la vitesse des trains en fonction de l’état du réseau, d’où les zones de ralentissement sur certaines lignes, particulièrement usées. “Sur ces portions, si nous passons à la vitesse normale, nous ne sommes pas à l’abri d’une catastrophe”, prévient Laurent Goutorbe. Sur la ligne Lyon-Ambérieu, le syndicaliste pointe “une voie où les limites d’usure ont été dépassées” et les conséquences directes : des retards.
La hausse des fréquences a aussi engendré son lot de petits désagréments. “Nous faisons circuler un maximum de trains avec des infrastructures qui, elles, n’ont pas bougé depuis de nombreuses années. La SNCF veut rouler toujours plus, mais ce n’est pas possible, sauf à fermer des lignes ou à renoncer à la régularité des trains”, poursuit un syndicaliste.
Un problème de management ?
Depuis des années, la SNCF et RFF se renvoient la balle pour trouver le responsable de la maintenance défaillante. Yves Crozet, professeur au laboratoire d’économie des transports, pointe lui le management de la SNCF plus que le manque de moyens : “Les vagues d’entretien ne sont pas dictées par le trafic mais par les managers. Le rapport Rivier en 2005 critiquait la maintenance opérée par la SNCF : beaucoup trop d’argent était dépensé en petit entretien alors que les gros travaux qui permettent de garder le réseau en bon état étaient peu faits. À la SNCF, ils sont 40 000 à travailler à la maintenance au quotidien pour 30 000 kilomètres de voie, quand les Allemands sont 25 000 salariés pour 40 000 kilomètres de rails. Et ils n’ont pas un réseau dans un plus mauvais état que le nôtre. Il y a un vrai problème de productivité à la SNCF.”
Bernard Soulage prône aussi un changement de mentalité : “Si l’entretien n’est pas fait régulièrement, le montant des travaux grimpe vite. Nous avons trop tendance à faire des petits bouts de chantier la nuit pour ne pas gêner le trafic, mais ce n’est pas efficace. J’ai l’impression que cela change et que le travail pourra être mieux fait.”
Des gares saturées
Les prochains plans de modernisation devront se pencher sur un dossier très gourmand en argent public : les gares, qui commencent à être la cause de nombreux retards. “Dans les grandes villes, elles sont complètement saturées, et leur agrandissement coûte très cher. Il suffit de regarder l’exemple de la Part-Dieu. Il faut investir dans les nœuds ferroviaires, qui ne constituent pas une fuite en avant comme a pu l’être le développement du réseau à grande vitesse. Une gare saturée peut expliquer de nombreux retards sur des lignes comme Lyon-Dijon, Lyon-Grenoble ou Lyon-Saint-Étienne”, estime Yves Crozet. La SNCF pare pour l’heure au plus pressé. “Plus on rajoute de quais à la Part-Dieu, plus on augmente le nombre de lignes”, regrette un syndicaliste.
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Cet article est extrait d’une enquête parue dans Lyon Capitale n°725 (sept. 2013)
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Ci-dessous la vidéo tournée lors de l’arrêt contraint d’un TER au-dessus du parc de la Tête-d’Or (à proximité de la gare de la Part-Dieu) le 11 juillet dernier.