Dans une affaire de braquage de banque au Péage-de-Roussillon, que Lyon Capitale suit depuis près d’un an, trois accusés ont été acquittés. Dans nos enquêtes, nous mettions en évidence de graves irrégularités de procédure. Le procès vient d’avoir lieu. Récit.
C’est un drôle de procès qui vient de se terminer devant la cour d’assises du Rhône. La juridiction criminelle a prononcé, ce mercredi 16 octobre, l’acquittement de trois jeunes hommes pour le braquage d’une banque au Péage-de-Roussillon*. Jugement pris à l’unanimité des jurés, avec un président et des juges assesseurs parmi les plus expérimentés des magistrats lyonnais. C’est à souligner.
Drôle de procès, car toute la chaîne pénale a défilé à la barre : procureur, juge d’instruction, juge des libertés, enquêteurs, avocat, experts. Tous avaient à répondre d’un dossier bâclé et brouillon, truffé d’erreurs, de fautes, de correction au Tipp-ex, d’analyses génétiques erronées, de pièces de procédure antidatées, voire de faux en écritures publiques. Le président de la cour d’assises, Jean-Paul Taillebot, a d’ailleurs donné acte à la défense de faire valoir ces faux en écritures. Au fil de débats qui furent âpres et exténuants, il est apparu assez invraisemblable qu’un tel dossier ait pu atterrir devant une cour d’assises.
Erreur judiciaire
André Buffard, l’un des avocats de la défense, a commencé sa plaidoirie en affirmant d’ailleurs qu’“en quarante ans de carrière, il n’[avait] jamais vu un dossier pareil”. Pourtant, du terroriste Carlos aux membres des Brigades rouges en passant par les disparus de Mourmelon, André Buffard en a vu bien d’autres. À ses côtés, Me Michel Jugnet et Me François-Xavier Awatar ont fait voler en éclats une procédure qui a avancé sur la pente dangereuse de l’“erreur judiciaire”, selon Buffard. “Comment se bâtit toute erreur judiciaire ? Je vous renvoie au livre de Jacques Vergès Les Erreurs judiciaires. Les enquêteurs montent une hypothèse et abandonnent toute autre hypothèse en voulant faire cadrer tous les éléments à leur disposition pour faire tenir cette hypothèse”, a-t-il plaidé devant la cour. Et c’est bien cette configuration, semble-t-il, qui a renvoyé trois hommes dans le box des accusés après près de quatre années de détention provisoire.
Le braquage a été commis par quatre individus et un complice extérieur. Très vite, le nom d’un suspect va émerger : Michel Debord. Mais il ne sera jamais entendu et la piste menant à lui sera refermée par les gendarmes en charge de l’enquête. Pourquoi ? “Parce qu’on ne l’a pas retrouvé”, affirmera le directeur d’enquête, entendu par la cour en visioconférence. Son véhicule, son domicile sont pourtant connus. Les témoins affirmeront également que l’un des braqueurs était de couleur noire et un autre plutôt gros. Dans le box, les accusés sont longilignes, fins et de peau claire.
L’un des accusés, façadier, a fourni à l’un de ses anciens avocats l’agenda de son employeur dans lequel était scrupuleusement notés les heures et lieux de son travail. Le jour du braquage, il travaillait, assure-t-il. Mais l’agenda a disparu et l’alibi avec. À la barre, l’avocat qui a reçu cet agenda, Me Jallot, s’est réfugié derrière le secret professionnel pour ne pas avoir à commenter la procédure. Le juge d’instruction, Bertrand Grain, questionné lui aussi, a constaté que plusieurs nullités de procédure n’avaient pas été relevées lors de l’instruction et qu’il avait hérité d’un dossier commencé par son prédécesseur.
Sieste
L’accusé Olçay Yilmaz a éructé tout au long des débats, accusant avocats et juges d’avoir monté un complot contre lui. “On sait très bien comment ça se passe à Lyon : 95 % des avocats lyonnais gèrent leurs dossiers de la façon la plus rentable pour eux. Ils se mettent d’accord avec les juges”, a-t-il notamment vociféré dans le box des accusés. Christian Ponsard, l’avocat général, n’a pas moufté. Il est resté silencieux, sans réaction, laissant porter de telles accusations de quasi-corruption contre l’institution judiciaire sans les contredire. Il est d’ailleurs resté mutique tout au long des débats. Pis, il fut même pris en flagrant délit de sieste à quelques reprises. Le président Taillebot faisant même un signe du coude à la greffière pour l’enjoindre de le réveiller. Les policiers qui assurent la sécurité de l’audience étaient hilares, se faisant des signes d’un bout à l’autre de la salle pour rire du sommeil de celui qui est censé défendre l’institution et la société.
Absent des débats, au sens propre comme au sens figuré donc, l’avocat général avait tout de même requis des peines allant de 20 ans à 12 ans de réclusion criminelle. Alors, par moments, l’audience avait tendance à virer à la farce judiciaire. Ainsi, lorsque l’un des enquêteurs fut pris en flagrant délit de mensonges.
Mensonge
L’un des accusés a affirmé que les gendarmes étaient entrés en toute illégalité dans leur chambre d’hôtel lorsqu’ils étaient surveillés, pour prendre éventuellement des éléments contenant l’ADN des accusés afin de les confondre. Accusation folle mais corroborée par le directeur de l’hôtel, entendu comme témoin. Ce dernier affirme en effet que deux gendarmes ont pénétré dans l’une des chambres des accusés en leur absence. Interrogée, l’un des enquêtrices a démenti, la gorge nouée, déclarant même que cet hôtel n’avait pas fait l’objet de surveillance. Parole contre parole ? Le lendemain de cette audition qui a mis la cour mal à l’aise, le directeur de l’hôtel a apporté les cartes professionnelles des enquêteurs sur lesquelles était inscrit le numéro personnel de cette enquêtrice. Nouveau malaise. Restait l’ADN des trois accusés retrouvé sur les lieux du braquage.
Présenté comme la reine des preuves, l’ADN a été démoli par les avocats et les accusés. Les deux experts qui ont procédé aux analyses ont reconnu des erreurs, n’ont pu expliquer la constitution de certains scellés. L’un des accusés, Olçay Yilmaz, a démontré que les profils génétiques de l’une des expertises ADN ne correspondaient pas entre eux. Resté totalement coi, l’expert a validé la démonstration par un simple “En effet…” dévastateur. Si l’avocat général a affirmé que l’ADN avait parlé pour justifier les peines requises, Me Jugnet a démontré que l’ADN a au contraire totalement bafouillé, en expliquant aux jurés comment étaient réalisées des expertises ADN : des kits commercialisés par des sociétés privées et qui établissent des probabilités sur la base de groupes ethniques exclusivement américains : Afro-Américains, Latinos, Amérindiens.
“Mon client, il a quoi à voir avec des Amérindiens ? On a des groupes ethniques américains de quelques centaines d’individus et on en fait des probabilités à usage universel. S’il y a quelque chose de scientifique, c’est le doute !” a-t-il plaidé. Dans ce dossier, les jurés ont douté de tout et ont, peut-être, évité une erreur judiciaire, faisant la démonstration qu’on peut douter d’une procédure judiciaire sans douter de la justice.
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* Lyon Capitale suit cette affaire depuis près d’un an. Lire le dossier “La justice face au dossier monté” dans le mensuel d’octobre 2012 et “Un dossier corrigé au Tipp-Ex devant la cour d’assises”.
Stupéfiant, surréaliste, édifiant ...
Scandaleux ! il faut poursuivre ces enquêteurs menteurs et falsificateurs; comment cela est il possible de les laisser continuer leur métier ?
En France on a fait mieux. On ne guillotine plus : on légifère. Et on condamne deux fois. Dans notre système dit « inquisitoire » le juge d’instruction, personnage central – instruit à charge et à décharge sur les faits et les preuves pour établir sa conviction. Le « doute » profite toujours à l’accusé, jamais à la victime. Le ministère public s’en tient au respect du droit pénal au nom de la société. Lorsque les deux instances se sont mises d’accord sur la qualification des faits, l’acte d’
suite l’acte d’accusation prononce le renvoi du prévenu devant une juridiction. Après avoir multiplié les appels (contre expertises – investigations etc..) pendant les années que dure « l’Instruction », un criminel est, en principe, renvoyé devant une Cour d’Assises qui condamne. Depuis 2001 un condamné en Cour d’Assises a la possibilité de faire appel sans avoir à fournir ni raison ni motif. On rejuge donc sur les faits pour « laisser une seconde chance » d’où un second procès d’Assises inu