Sophia Popoff, adjointe à l’hébergement d’urgence à la Ville de Lyon, est l'invitée de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.
Alors que la trêve hivernale a pris fin, la Ville de Lyon se retrouve de nouveau confrontée à la question sensible de l’hébergement d’urgence. Entre procédures d’expulsion et actions judiciaires contre l’État, l’adjointe en charge du dossier, Sophia Popoff revient sur les limites de l’action municipale face aux carences de l’État et sur les arbitrages que la Ville opère, notamment en programmant l'expulsion de sans-abris qui occupent une école désaffectée.
L’hébergement d’urgence est avant tout une compétence de l’État. Mais à Lyon, comme ailleurs, les municipalités prennent le relais lorsque les dispositifs nationaux s’avèrent insuffisants. "Depuis le début du mandat, nous avons fait le constat que l’État ne remplissait pas toutes ses obligations sur notre territoire", explique Sophia Popoff. C’est dans ce contexte que la Ville a décidé de créer un poste d’adjointe à l’hébergement d’urgence. "Cela permet d’avoir une figure politique locale qui peut suivre ces sujets et faire du plaidoyer pour que l’État de droit soit appliqué", précise-t-elle.
Lire aussi :Lyon : les réfugiés de l'école Gilibert bientôt expulsés, une décision "indigne" selon ce collectif
Un recours contre l’État et un autre en préparation
Face à l’inaction de l’État, la Ville de Lyon a intenté un recours en justice pour obtenir le remboursement des frais engagés dans l’hébergement d’urgence. "Le premier recours a été posé en 2023, pour un montant d’environ 300 000 euros, porté par la Ville et le CCAS", détaille Sophia Popoff. Ce recours a été déposé en coordination avec d’autres grandes villes françaises comme Nantes, Rennes ou Grenoble, cette dernière ayant récemment obtenu gain de cause en première instance. Un deuxième recours est en préparation. "Il est en train d’être finalisé. Il n’a pas encore été déposé", confirme l’élue.
École Gilibert : une expulsion sous tension
Depuis novembre, l’ancienne école Gilibert, dans le 2e arrondissement de Lyon, est occupée par des familles sans-abri. Elles étaient 84 à l’origine, dont de nombreux enfants. Aujourd’hui, elles sont encore une quarantaine à vivre dans ce bâtiment désaffecté que la Ville souhaite récupérer pour y installer une partie des activités de l’ENSBA, l’École nationale supérieure des beaux-arts.
"À l’automne, quand on a constaté l’occupation, on a échangé avec les personnes sur place. Elles avaient pris l’engagement de quitter les lieux au 31 mars", rappelle Sophia Popoff. Cet accord a permis une mise à l’abri provisoire, financée en partie par la Ville.
Mais l’expulsion en cours suscite l’indignation de certaines associations. La Ville assure avoir tenu tous ses engagements. "Elle a sécurisé le site, donné accès à l’eau chaude, et surtout, elle s’est mobilisée pour permettre à plusieurs familles de trouver des solutions de logement", insiste l’adjointe.
Lire aussi : Lyon : les réfugiés de l'école Gilibert bientôt expulsés, "hors de question" pour Jamais sans toit
Une équation impossible entre urgence sociale et engagement culturel
Le bâtiment de l’école Gilibert est promis à l’ENSBA pour développer son programme de pratiques artistiques amateurs. "Si l’ENSBA n’a pas de locaux, cela met fin à ce programme qui permet à des centaines de personnes de pratiquer une forme artistique", souligne Sophia Popoff, qui refuse d’opposer culture et urgence sociale. "Ce n’est pas une question d’arbitrage entre les sans-abri et l’ENSBA. Si la Ville avait pris un engagement auprès de tout autre acteur d’intérêt général, elle aurait agi de la même façon", affirme-t-elle.
Lire aussi : Jamais Sans Toit : "On se retrouve à faire le travail de l'Etat et des collectivités territoriales"
Plus de détails dans la vidéo :
La retranscription complète de l'émission avec Sophia Popoff :
Bonjour à tous, bienvenue dans l'émission 6 minutes chrono, le rendez-vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale. Aujourd'hui, on va parler d'hébergement d'urgence. Le contexte, c'est celui de la fin de la trêve hivernale, avec de nouveau les possibilités d'expulsion. C'est aussi dans la métropole de Lyon, environ 25 000 personnes qui sont sans-abris, ce sont les chiffres de 2023. Et pour en parler, nous recevons Sophia Popoff, qui est adjointe au renouvellement urbain et surtout à l'hébergement d'urgence. Bonjour Sophia Popoff. Merci d'être venue sur notre plateau. On va rentrer dans le vif du sujet. L'hébergement d'urgence, c'est d'abord une compétence de l'État, on va commencer par le rappeler tout de même. Mais vous avez quand même ce titre d’adjointe à l'hébergement d'urgence. Est-ce que vous pouvez nous expliquer à quoi ça sert, en fait, un adjoint à l'hébergement d'urgence, sachant que c'est aussi une compétence de l'État ?
Alors pour moi, il y a deux fonctions principales. La première, c'est de suivre la situation sur le terrain. C'est à la fois la lutte contre le sans-abrisme et l'hébergement d'urgence. Ça permet d'avoir une figure politique locale qui peut suivre ces sujets et qui peut aussi, du coup, rappeler à l'État que c'est de sa compétence, et donc faire du plaidoyer pour que l'État de droit soit appliqué sur notre territoire et que toutes les personnes sans-abri soient prises en charge.
Et puis, ça permet aussi de développer des solutions puisque, depuis le début du mandat, nous avons fait le constat que l'État ne remplissait pas toutes ses obligations sur notre territoire en matière d'hébergement d'urgence. Et donc, la Ville a décidé de s'engager, de proposer des solutions d'hébergement, et donc d’avoir une adjointe au maire en charge de ces questions. Ça permet de développer des projets, de trouver des solutions.
Vous avez engagé des procédures de justice pour demander à l'État un remboursement d'une partie des frais engagés par la municipalité sur l'hébergement d'urgence. Vous pouvez nous en dire un mot ? Il y a un deuxième recours qui est dans les tuyaux pour être déposé ?
Oui, donc il y a un premier recours qui a été posé en 2023. C'est une action qui a été faite conjointement avec d'autres villes, par exemple la ville de Grenoble, qui est une ville écologiste. On avait aussi déposé un recours avec la ville de Nantes, la ville de Rennes, ou encore d'autres villes de différentes couleurs politiques. Le premier recours a été posé pour un montant d'à peu près 300 000 euros, porté par la Ville et le CCAS de Lyon. On attend toujours les premiers résultats. Il y a quelques jours, le tribunal administratif de Grenoble a donné raison à la ville de Grenoble en première instance. Donc, nous, on salue cette décision, qui va dans le bon sens. Côté Lyon, on attend toujours que la procédure judiciaire avance. Et vu qu'on continue de se mobiliser sur le sujet de l'hébergement d'urgence, et donc de dépenser de l'argent pour faire face aux carences de l'État, on a décidé effectivement de former un second recours. Ce recours est en train d'être finalisé, il n'a pas encore été déposé.
On va aller un peu plus dans le détail. Aujourd'hui, concrètement, à Lyon 2, il y a une école qui s'appelle l'école Gilibert, qui est une école désaffectée, occupée par environ 80 personnes, dont des enfants, depuis le début de l'hiver dernier. Vous avez lancé dernièrement une procédure d'expulsion. Pourquoi l'avoir fait ? Est-ce que vous pouvez nous expliquer dans ce contexte ? Donc, on l’a dit, c’est la fin de la trêve hivernale. Pourquoi est-ce que vous, mairie de Lyon, allez potentiellement remettre des familles à la rue ?
Peut-être pour reprendre un peu l'historique : il y a un an, la Ville de Lyon a pris un engagement auprès de l'ENSBA, l'École nationale supérieure des beaux-arts, de lui mettre à disposition l'école Gilibert, vide depuis septembre dernier, pour qu'elle puisse y transférer notamment son parcours destiné aux amateurs.
À l'automne, en novembre, une mobilisation citoyenne a occupé l'ex-école Gilibert. Quand on a constaté cette occupation, on s'est posé la question : fallait-il évacuer immédiatement le bâtiment ou laisser cette occupation perdurer ? On a échangé avec les personnes entrées dans le bâtiment. Elles ont pris l'engagement, à ce moment-là – donc en novembre –, de quitter les lieux quand on leur demanderait.
Cela nous a permis de procéder à une mise à l'abri, financée en partie par la Ville de Lyon, qui a duré de novembre jusqu’au 31 mars. On s'était mis d'accord sur une fin d'occupation au 31 mars. C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, en ce début avril, nous avons entamé la procédure d'expulsion. La première étape, c’est de l’entamer. Ensuite, on attend une décision du juge. L'idée, c'est de voir comment cette procédure va aboutir pour pouvoir, à un moment donné, récupérer le bâtiment et le mettre à disposition de l’ENSBA, qui en a vraiment besoin.
Parce qu’il y a quand même entre 30 et 40 personnes qui n’ont pas encore trouvé de solution. On imagine que ce n’est pas non plus pour un plaisir de vivre dans ces conditions. Donc la balance, c’est : entre les travaux de l’ENSBA et l’hébergement de ces familles avec plusieurs enfants. C’est le juge, à la fin, qui va devoir trancher ?
Déjà, je pense qu’il faut se féliciter : au plus fort de l’occupation, on comptait 84 personnes à Gilibert. Grâce à la mobilisation, notamment celle des services de la Ville de Lyon et du CCAS, on a aujourd’hui une cinquantaine de personnes qui occupent les locaux. On sait que certaines familles, notamment des réfugiés afghans, doivent quitter l’école incessamment sous peu pour accéder à un logement.
Donc, on peut se féliciter que cette mise à l’abri ait permis de protéger des personnes pendant les mois les plus durs de l’année – l’hiver – et aussi d’accélérer les prises en charge pour certaines familles.
Aujourd’hui, comme je vous le disais, la Ville avait pris des engagements auprès du collectif, auprès des personnes concernées : ne pas engager la procédure d’expulsion immédiatement, sécuriser le site, donner accès à l’eau, à l’eau chaude. Tous ces engagements ont été tenus. Elle s'était aussi engagée à se mobiliser pour que des familles soient prises en charge, et elle continue de le faire pour les quelque 40 personnes restantes.
On a des perspectives pour certaines d’entre elles. Mais la Ville avait aussi un engagement préalable à l’occupation, auprès de l’ENSBA. Les pratiques amateurs, ce sont des centaines de personnes qui peuvent pratiquer une forme artistique grâce à ces locaux. Si l’ENSBA n’a pas de locaux, cela met fin à ce programme.
Je pense que dans un contexte national et international où l’on voit se réactiver des formes de pouvoir extrêmement réactionnaires, il me semble important de soutenir nos acteurs culturels, parce que la culture, c’est l’émancipation.
Et peut-être un dernier élément : je refuse d’opposer la lutte contre le sans-abrisme à la question de la culture. Si la Ville avait pris un engagement auprès de tout autre acteur servant l’intérêt général et le service public – qu’il soit culturel, institutionnel, associatif, sportif – on aurait agi de la même manière. Ce n’est pas la question de l’ENSBA en particulier. La Ville se doit de tenir ses engagements.
Merci beaucoup, Sophia Popoff. C'est déjà la fin de 6 minutes chrono. C’est toujours trop court. Quant à vous, merci d’avoir suivi cette émission. Plus de détails sur l’actualité sociale de la Ville de Lyon sur le site lyoncapitale.fr. À très bientôt. Merci à tous et à très bientôt pour d’autres vidéos