Et après ? Est-ce l'essentiel de son discours ? Ou bien serait-ce parce qu'il fait l'éloge de l'espérance devant une assemblée de croyants catholiques ? Espérance dont on sait qu'elle est, notamment, une vertu chrétienne ? Donc, c'est intolérable, par principe ? Examinons l'argument.
Il y a quatre manières de choquer : contre le droit, contre la morale, contre l'intelligence, contre le sentiment.
M Sarkozy choque-t-il le droit ? A-t-il dépassé les limites de la liberté d'expression ? C'est ce que prétendent ceux qui, comme H Péna-Ruiz dans Le Figaro, n'hésitent pas à vanter de leur côté l'humanisme de Voltaire ou l'athéisme de Nietzsche, comme si la pensée de ces auteurs avait davantage de droits parce qu'elle échappe évidemment à " l'obscurantisme religieux ". Ainsi en France, il y a ce que l'on a le droit de dire, et ce qui est censuré : la liberté d'expression a les limites... celles que lui posent ceux qui voudraient monopoliser le débat.
Car en France depuis de longues années des intellectuels, des professeurs, des hommes politiques disqualifient le discours religieux et font peser sur les consciences une censure telle que plus personne n'ose parler de religion, encore moins se déclarer croyant, encore moins défendre la valeur des vertus religieuses, disqualifiées d'avance. Comme si l'héritage des Lumière devait nous conduire à opposer inlassablement, en durable caricature, l'humanisme à la pensée religieuse, comme si l'intelligence de la foi était un cercle carré, comme si l'humanisme athée était la seule manière d'émanciper les hommes. Comme si l'histoire de la laïcité n'était pas plus complexe qu'on ose le dire. Ainsi on ne s'étonne même plus de ce que des gens comme H Pena-ruiz réclament pour eux ce qu'ils refusent aux autres, en toute bonne conscience. Dans un pays libre, la première vertu n'est-elle pas de supporter la liberté des autres ?
L'argument de M Pena-ruiz s'affine lorsqu'il dit que M Sarkozy semble " incapable de distinguer ses convictions personnelles de ce qui lui est permis de dire publiquement dans l'exercice de ses fonctions ". Il est vrai qu'un homme politique a un devoir de réserve.
Mais s'agit-il de convictions religieuses ? Il faudrait le montrer ! Car d'un autre côté, un homme politique ne saurait se passer d'avoir des convictions personnelles ! Et de les énoncer en public ! On devrait se méfier de ceux qui veulent un peu vite tracer une frontière entre la conviction et l'argument pour frapper d'ostracisme les idées neuves. Reconnaissons donc que le Président analyse ici le rapport entre la vie religieuse et la vie politique. Et personne ne brûle les livres de Machiavel ou de Rousseau qui font de même. Voyez le Discours sur la première décade de Tite-Live, ou Du Contrat social, IV,8. Personne ne reprocherait à un professeur d'étudier ces textes avec ses élèves, mais voilà qu'un Président n'aurait pas le droit de se prononcer sur ces questions ? Car que dit N.Sarkozy ? " L'intérêt de la République, c'est qu'il y ait beaucoup d'hommes et de femmes qui espèrent ". Et il fait la louange d'un pays qui a de nombreux croyants. C'est une opinion politique, peut-être une opinion philosophique, certainement pas une conviction religieuse !
On peut donc soutenir comme une conviction politique que la République a besoin d'hommes qui croient en Dieu et fondent là-dessus une espérance. Car que je sache, personne ne fait de procès à Tocqueville pour soutenir cela : " J'ai établi que les hommes ne peuvent se passer de croyances dogmatiques, et qu'il était même très à souhaiter [pour la démocratie] qu'ils en eussent de telles. J'ajoute ici que, parmi toutes les croyances dogmatiques, les plus désirables me semblent être les croyances dogmatiques en matière de religion ; cela se déduit très clairement, alors même qu'on ne veut faire attention qu'aux seuls intérêts de ce monde ". (De la démocratie en Amérique, Tome II, 1erep. ch V)
Ainsi ne sont " choqués " que ceux qui, sous prétexte de laïcité, le grand mot, veulent confisquer la liberté d'expression à leur profit. Et ils réussissent bien.
Mais si M Sarkozy ne choque pas le droit, choque-t-il donc la morale ? Dans une République dont on se vante qu'elle ne reconnaisse aucune morale en particulier, sinon de ne pas entraver la liberté des autres pour vivre en bonne fraternité, on ne voit pas comment de tels propos pourraient choquer la morale. Quels sont ces propos ? Le Président compare l'instituteur au curé pour faire l'apologie du second. D'abord, les anticléricaux reconnaîtront là un procédé dont ils usent eux-même largement. Dénoncez-le si vous voulez, mais pas au nom de la morale ! Mais le raisonnement des détracteurs du discours est celui-ci : puisqu'il fait l'apologie des uns, il méprise les autres. Ainsi la diatribe de M Pena-Ruiz repose sur un procédé malhonnête : il prétend que le discours du Président est " une profession de foi discriminatoire " parce qu'il prête à son auteur des intentions cachées. Facile.
Alors dites plutôt que son discours est maladroit, montrez à votre tour combien les professeurs des écoles publiques savent aussi se sacrifier, montrez que l'école sait éduquer à la vie morale, définissez les notions, écrivez quelque chose à ce sujet ! Mais ne jouez pas les victimes ! Où est la discrimination ? Sous prétexte que N Sarkozy défend une idée, il condamnerait forcément son contraire ? Facile logique binaire qui ne convaincra heureusement personne.
Alors M Sarkozy choque-t-il l'intelligence ? Au début de son discours, il prend soin de rappeler " des faits ". C'est là qu'on peut l'attaquer, car il mélange les faits et les idées : selon lui, c'est un fait que la France soit " fille aînée de l'Eglise ". Non, comme le rappelle justement Bernard Henri-Lévy (dans le journal Le point du 10 janvier), ce n'est pas exactement un fait, mais plutôt un point de vue religieux énoncé tardivement par un cardinal... 14 siècles après le Baptême de Clovis ! Ainsi peut-on discuter à juste titre. En même temps, parmi les faits, le Président en rapporte d'autres que ses détracteurs n'ont pas voulu retenir : " Tout autant que le baptême de Clovis, la laïcité est également un fait incontournable dans notre pays. " Et plus loin : " Dès lors la laïcité s'affirme comme une nécessité et une chance. Elle est devenue une condition de la paix civile. Et c'est pourquoi le peuple français a été aussi ardent pour défendre la liberté scolaire que pour souhaiter l'interdiction des signes ostentatoires à l'école. " Ainsi le discours n'est pas si partisan qu'on le dit. Quant à ses détracteurs, ils usent de mauvais procédés en sélectionnant quelques bribes pour s'insurger. Où est l'honnêteté intellectuelle ?
Par ailleurs, le Président ajoute : " Je sais les souffrances que sa mise en œuvre [de la laïcité] a provoquées en France chez les catholiques, chez les prêtres, dans les congrégations, avant comme après 1905. Je sais que l'interprétation de la loi de 1905 comme un texte de liberté, de tolérance, de neutralité est en partie une reconstruction rétrospective du passé. " Là dessus, Messieurs Péna Ruiz et Bernard Henri-Lévy ne disent rien. Voilà des intellectuels qui ne veulent pas reconnaître ouvertement que la laïcité fut longtemps, qu'elle est encore même un prétexte pour un athéisme militant, pour des idéologies qui ont aussi sur la conscience le sang de bien des innocents. De quel côté est la mauvaise foi ?
Il est temps de placer le débat sur le terrain de l'intelligence, de la liberté de pensée et de l'honnêteté intellectuelle.
Reste à dire que le discours choque par l'émotion qu'il provoque. Là dessus, je n'ai rien à dire, sinon que le président, qui aime donner des spectacles, trouve alors un public bien naïf jusque dans les rangs de ceux qui prétendent penser.
Arthur Craplet
Professeur de Philosophie à Lyon (Lycée public)
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