Egalité filles-garçons © Lefred-Thouron

Vallaud-Belkacem veut imposer le féminisme à l’école

Après le mariage pour tous, le Gouvernement s’attaque aux inégalités hommes-femmes, et ce dès l’école primaire. Expérimentation à la rentrée dans 10 académies, dont celle de Lyon. Atteinte aux droits des parents, s’exclament les opposants, quand ils ne crient pas à l’irruption d’une “théorie du genre” dans les salles de classe.

Dessin © Lefred-Thouron

Oser le féminisme... dès la maternelle ! C’est l’ambition de la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, qui lance cette rentrée les “ABCD de l’égalité”, un dispositif pour donner un coup d’élan à l’égalité filles-garçons à l’école, de la fin de la maternelle à la fin du primaire. Des outils pédagogiques sont envoyés aux professeurs de 10 académies pilotes, dont celle de Lyon, et seront utilisés 10 à 15 heures par an, dans le cadre du programme déjà établi par l’Éducation nationale.

“Ces modules ne s’ajoutent pas aux emplois du temps, précise Sébastien Sihr, secrétaire général du principal syndicat de professeurs des écoles (SnuIPP-FSU). Ils seront intégrés aux cours de maths, d’histoire, de sport...” Ils ne feront d’ailleurs pas partie des activités pédagogiques complémentaires prévues dans la réforme des rythmes scolaires.

Difficile d’en savoir plus sur ces fameux “kits pédagogiques”. En quoi consistent-ils ? Qu’en fera-t-on dans les classes exactement ? À l’heure où nous écrivons ces lignes, le sujet reste tabou : impossible de les consulter ! “On ne s’exprime pas avant septembre”, lâche le service communication de l’Éducation nationale, autrement dit pas avant leur publication officielle. Même son de cloche du côté du Centre national de documentation pédagogique (CNDP), chargé de mettre ces outils en forme. Les professeurs n’en connaissent pas non plus le contenu : “Le Gouvernement se réserve la primeur de toute communication sur le sujet”, suppose Sébastien Sihr.

3 exemples hyper valorisés

Cette stratégie de maîtrise de la com’ permet à la ministre de valoriser trois mêmes exemples depuis un an, à longueur d’interviews. Un cours d’histoire de l’art d’abord : le professeur invite les élèves à commenter des images d’hommes et de femmes à différentes époques, pour leur faire prendre conscience que la représentation sociale du masculin et du féminin change au fil du temps. Autre idée : la partie de foot mixte – module inspiré par l’association toulousaine Liberté aux joueuses –, où chaque équipe apprend à élaborer une stratégie en tenant compte des capacités de chacun, le but étant de les sensibiliser à la complémentarité homme-femme. Troisième exemple : la crèche Bourdarias de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), où les éducateurs s’efforcent de ne pas faire de différences entre filles et garçons – “On ne leur interdit pas de jouer à la poupée ou au camion, précise Najat Vallaud-Belkacem, mais on essaye de les éveiller de la même façon aux gestes de la vie quotidienne et au partage des tâches.”

Un tour sur les sites Web des académies pilotes permet également de se faire une idée. Depuis juin, celui de Lyon met à la disposition de tous les établissements de la région ses propres ressources pédagogiques sur l’égalité hommes-femmes. “On s’inspire de ce genre d’outils de terrain, reconnaît un porte-parole du ministère, mais on ne reprendra pas forcément tout.” Bien que variés, ces modules peuvent se rapporter à trois catégories... qui correspondent exactement aux trois exemples valorisés par la ministre – une stratégie de communication qui ne doit rien au hasard, les “ABCD de l’égalité” reposant sur ces trois volets : un travail sur les images, visant à abolir les clichés sexistes ; un ensemble d’activités, pour que la mixité ne soit pas qu’un concept abstrait ; une sensibilisation des personnels éducatifs à leurs propres comportements, jugés parfois stéréotypés.

Agir au niveau des pratiques éducatives est d’ailleurs la principale nouveauté, la lutte contre le sexisme faisant partie de la mission de l’école depuis longtemps. Selon une enquête dirigée par les rectorats de Lyon et de Grenoble, seuls 18 % des profs pensent maintenir des stéréotypes liés au sexe, alors que de nombreuses études indiquent que le phénomène est plus important : ils donneraient davantage de temps de parole aux garçons et seraient plus tolérants avec eux quand ils perturbent le cours, même quand ils ont l’impression d’être équitables – autant de comportements qui contribueraient au développement d’un sentiment d’infériorité chez les filles. “Personne ne jette le blâme sur les professeurs, tempère Sébastien Sihr. L’école n’est ni plus ni moins sexiste que le reste de la société.” Le Gouvernement a d’ailleurs engagé une réflexion avec les éditeurs de manuels scolaires : les femmes y seraient sous-représentées et y paraîtraient le plus souvent passives.

---> Page 2 : Difficile équilibre face aux pourfendeurs de la “théorie du genre”

© Lefred-Thouron pour Lyon Capitale

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“Théorie du genre”

Abolir les stéréotypes, traiter filles et garçons de la même façon... Le projet fait grincer des dents, notamment du côté du récent mouvement d’opposition au mariage homosexuel. De nombreux militants accusent le Gouvernement de vouloir nier toute différence – y compris biologique – entre les hommes et les femmes, voire de laisser entendre qu’on pourrait changer de sexe comme de chemise : “Un tel discours professé devant des enfants de 6 ans risque de causer beaucoup de confusion et de perturber les esprits”, dénonce le syndicat étudiant UNI, proche de l’UMP, dans une pétition “contre la théorie du genre à l’école élémentaire” – soit l’idée, selon eux, que le masculin et le féminin seraient des représentations sociales sans fondement naturel.

Si l’expression “théorie du genre” est inexacte, des universitaires spécialisés dans ce domaine de recherche considèrent bien que l’identité sexuelle est entièrement acquise et non innée. C’est notamment le cas du psychologue néo-zélandais John Money ou, dans une moindre mesure, de la philosophe américaine Judith Butler. D’autres, en revanche, sont moins radicaux : ils critiquent la représentation sociale du masculin et du féminin, et les discriminations qui en découlent, mais considèrent que des différences biologiques irrémédiables existent. Le ministre de l’Éducation, Vincent Peillon, et Najat Vallaud-Belkacem assurent s’inspirer des seconds, mais les inquiétudes demeurent du côté de leurs opposants : l’UNI incite les parents à créer des “comités de vigilance” dans les écoles et réclame le “retrait du concept de genre des manuels, des décrets et de projets de loi”.

Équilibrisme

Pour ne pas attiser la polémique, le Gouvernement joue les équilibristes : Vincent Peillon a redit son hostilité à toute théorie “allant jusqu’à la négation des sexes”, mais entend bien prendre en compte les multiples rapports sur les discriminations dites “genrées”. Selon une convention de partenariat interministérielle pour l’égalité filles-garçons, en effet, “les savoirs scientifiques issus des recherches sur le genre, les inégalités et les stéréotypes doivent nourrir les politiques publiques mises en place pour assurer l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes”.

L’action du Gouvernement ne se limite d’ailleurs pas aux salles de classe, les inégalités se constituant aussi bien... à la maison ! “Pour avancer vers plus d’égalité, justifie Najat Vallaud-Belkacem, il faut agir sur les mentalités, non pas en culpabilisant les uns ou les autres, mais en défaisant les clichés qui enferment les hommes et les femmes dans des rôles prédéfinis.” Les parents d’élèves devraient donc être associés à la démarche.

---> Au-delà des ABCD, un enjeu de société

© Lefred-Thouron pour Lyon Capitale

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Enjeu de société

Les sites dédiés à la “Manif pour tous” dénoncent une violation du droit des parents d’élever des enfants comme bon leur semble, arguant que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dispose qu’ils ont, “par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants”. Beaucoup s’estiment ainsi fondés à inculquer à leur fille qu’elle ne doit pas se comporter comme un garçon, ou l’inverse. L’ancien directeur d’IUFM Jean-Louis Auduc, auteur de Sauvons les garçons ! (éd. Descartes & Cie), juge d’ailleurs qu’il vaudrait mieux mettre en place une pédagogie “différenciée” pour les deux sexes, prenant en compte des écarts de maturité et de comportement : “Tenter de gommer les différences ne fera qu’accentuer les stéréotypes”, dénonce-t-il dans Le Figaro du 20 août dernier.

L’égalitarisme pour atteindre un jour l’égalité réelle

Pour Najat Vallaud-Belkacem, au contraire, l’idée que les filles parlent mieux et plus tôt, par exemple, ne serait pas étrangère au fait que les garçons décrochent en lecture au collège. De nombreuses études indiquent que les stéréotypes pèsent plus généralement sur les choix d’orientation : “Les filles sont meilleures en maths jusqu’au bac, poursuit la ministre, mais elles ne sont que 20 % à faire des études scientifiques.” À l’inverse, seule une petite minorité de garçons s’inscrit en littéraire ou s’oriente dans les métiers de services à la personne. En bout de chaîne, tout cela aurait un impact sur les inégalités professionnelles (salaire, carrière...) et le partage des tâches à la maison. Cette raison semble suffisante aux yeux du Gouvernement pour défendre un certain égalitarisme à l’école, quitte à aller à l’encontre de parents attachés à une vision différenciée de l’homme et de la femme. Selon la convention interministérielle, en effet, “l’éducation à la sexualité occupe une place de premier ordre (...), en tant qu’elle touche, au-delà du domaine de l’intime, à des enjeux de société décisifs”.

La ministre veut ainsi agir en amont pour passer “de l’égalité juridique à l’égalité réelle”. Selon elle, des droits ont certes été acquis à la Libération, puis dans les années 1970, mais ils ne sont pas encore ancrés dans la pratique. Elle entend promouvoir une troisième génération de droits des femmes : “C’est le passage au concret ainsi que le changement de mentalités qu’il faut maintenant mettre en œuvre.” 2013 a ainsi été déclarée “année de mobilisation pour l’égalité à l’école”, et c’est dans ce contexte que les “ABCD de l’égalité” ont été élaborés. Le dispositif sera évalué une première fois au printemps 2014 et, s’il est concluant, progressivement élargi à d’autres académies puis à l’ensemble du territoire.

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Cet article est paru dans Lyon Capitale 725 (septembre 2013).

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Lire aussi :

- Entretien avec la ministre des Droits des femmes
Najat Vallaud-Belkacem défend la cohérence globale de son projet et s’explique sur la controversée “théorie du genre”.

- Filles/garçons : quelle est la différence ?
Les chercheurs sont divisés : difficile de mesurer l’impact du biologique et du sociologique sur la construction de l’identité sexuelle.

Comment l’“idéologie du genre” est devenue un repoussoir polémique

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