Maître Sophie Hassid, avocate au barreau de Lyon, est l'invitée de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.
Depuis plusieurs années, les délais de traitement des titres de séjour à la préfecture du Rhône s'allongent, plongeant de nombreux étrangers dans une insécurité administrative et sociale. Maître Sophie Hassid, spécialiste du droit des étrangers et membre de la commission du droit des étrangers au barreau de Lyon, était l'invitée de l'émission "6 minutes chrono" sur Lyon Capitale pour faire le point sur cette situation alarmante.
Des délais explosifs et des conséquences dramatiques
En théorie, la loi fixe des délais précis pour l'instruction des demandes de titres de séjour : quatre mois pour une carte de séjour, six mois pour un regroupement familial, et jusqu'à 18 mois pour une naturalisation. Mais dans la réalité, ces délais sont largement dépassés. "Aujourd'hui, les délais ont tous explosé et malheureusement les conséquences sont exceptionnelles pour les personnes puisque les personnes qui ont déjà une carte de séjour vont devoir attendre des mois voire parfois des années avant qu'une nouvelle carte de séjour leur soit délivrée." déplore Maître Hassid.
Cette attente prolongée n'est pas sans effet sur la vie quotidienne des demandeurs. Privés de documents en règle, certains perdent leur emploi, voient leurs contrats suspendus, ou se retrouvent sans indemnités en cas d'arrêt maladie ou de chômage. "Lorsqu'il n'y a plus de document, l'employeur va suspendre le contrat de travail du salarié et éventuellement le licencier puisqu'il n'a plus de document. Comment payer un loyer si l'on n'a plus de ressources ? Si la personne étrangère est au chômage, pas d'indemnités. Si la personne étrangère est en arrêt de travail, pas d'indemnités journalières."
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Une préfecture condamnée mais toujours défaillante
Face à ces retards, la justice a déjà condamné la préfecture du Rhône à plusieurs reprises, lui imposant de réexaminer des dossiers ou de délivrer des titres de séjour. Mais ces décisions sont rarement suivies d'effets. "Les tribunaux administratifs condamnent la préfecture à une obligation de faire, c'est-à-dire soit réexaminer le dossier dans un délai déterminé, soit délivrer la carte de séjour. Et la préfecture du Rhône ne respecte pas régulièrement les décisions des tribunaux. Cela pousse au contentieux."
La dématérialisation, une fausse bonne idée ?
Depuis quelques années, la dématérialisation des demandes de titres de séjour via la plateforme ANEF (Administration Numérique des étrangers en France) devait fluidifier les procédures. Mais selon Maître Hassid, ce système est loin d'être optimal. "Une fois que le dossier est déposé, les personnes ne savent plus ce qui se passe puisqu'il n'y a pas d'interlocuteur humain avec qui échanger sur où en est le dossier, que se passe-t-il ?"
Cette absence de contact direct avec l'administration laisse les demandeurs dans le flou total. Les interruptions de droits deviennent fréquentes, notamment pour les personnes ne maîtrisant pas l'outil informatique ou n'ayant pas accès à Internet. "On aurait pu penser qu'avec la dématérialisation, tout se faisait automatiquement. En fait, il faut quand même qu'il y ait un humain derrière qui fasse une manipulation pour délivrer ce document provisoire qui permet le séjour en France."
Un problème national, une crise locale
Si le dysfonctionnement des préfectures n'est pas propre au Rhône, cette dernière semble particulièrement touchée. "C'est une problématique qui est récurrente et qui est pratiquement dans toutes les préfectures en France. Néanmoins, la préfecture du Rhône accuse un dysfonctionnement très important, des délais anormalement longs."
Face à cette situation, les associations et avocats tentent d'accompagner au mieux les étrangers en difficulté, mais la lenteur administrative complique leur travail. Pour l'instant, aucune amélioration n'est en vue, et les demandeurs de titres de séjour doivent prendre leur mal en patience... ou saisir la justice.
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La retranscription de l'émission avec Maître Hassid :
Bonjour à tous, bienvenue dans l'émission 6 minutes chrono, le rendez-vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale. Aujourd'hui, on va parler des problèmes des titres de séjour à la préfecture du Rhône. Et pour en parler, nous recevons Maître Sophie Hassid, qui est membre de la commission du droit des étrangers au barreau de Lyon. Bonjour Maître Hassid. Merci d'être venue sur notre plateau. On avait reçu il y a quelques années Maître Sophie Pochard, qui avait fait un point sur les problèmes déjà existants suite à la mise en place de la dématérialisation de tous les processus de renouvellement de titres de séjour et de premières demandes. Deux ans plus tard, nous sommes en 2025, qu'est-ce qui cloche, notamment sur la question des délais pour toutes les demandes à la préfecture ?
J'aurais souhaité vous dire que deux ans plus tard, les problèmes étaient réglés ou presque réglés. Malheureusement, on constate que les délais s'accroissent régulièrement. La loi fixe des délais pour l'instruction des demandes, en particulier des cartes de séjour : quatre mois. Pour les demandes de regroupement familial, c'est six mois, et pour les demandes de naturalisation, c'est entre 12 et 18 mois. Aujourd'hui, ces délais ont tous explosé. Malheureusement, les conséquences sont lourdes pour les personnes concernées, qui doivent attendre des mois, voire des années, avant de recevoir une nouvelle carte de séjour. Pendant l'instruction de leur dossier, des documents provisoires sont délivrés, mais parfois avec des interruptions car la préfecture n'arrive pas à les fournir à temps. Cela pose un véritable problème de continuité du séjour régulier.
On parle de quoi ? D'une dizaine, d'une centaine, de milliers de cas pénalisés par ces délais ? Avons-nous quelques chiffres ?
Nous n'avons pas de chiffres précis. Le barreau de Lyon aimerait rencontrer plus régulièrement la préfecture du Rhône pour en obtenir. Mais presque tous les étrangers sont impactés par ces délais. Certains dossiers sont traités plus rapidement, mais dans l'ensemble, les délais fixés par la loi ne sont pas respectés. J'ai reçu récemment une personne sous récépissé depuis sept ans, sans savoir où en était son dossier. C'est une situation récurrente qui touche un grand nombre de personnes.
L'administration est-elle sanctionnée par la justice lorsque ces délais sont dépassés ?
Oui, les étrangers sont parfois contraints de saisir la justice. Les tribunaux administratifs condamnent la préfecture à une obligation de faire, c'est-à-dire à réexaminer le dossier dans un délai déterminé ou à délivrer la carte de séjour. Malheureusement, la préfecture du Rhône ne respecte pas toujours ces décisions, ce qui pousse au contentieux. Les étrangers n'ont pas spécialement envie d'engager des procédures judiciaires, mais ils y sont contraints car ces retards ont un impact direct sur leur vie quotidienne.
Quels sont les impacts concrets pour une personne étrangère qui attend son titre de séjour ?
L'impact est très important. Le récépissé, valable trois mois et renouvelable, peut connaître des interruptions. Pendant ces périodes, la personne n'a plus le droit de travailler si son document d'identité n'est plus valide. Son employeur peut alors suspendre son contrat ou même la licencier. Cela a des conséquences en cascade : impossibilité de payer un loyer, de percevoir des indemnités de chômage ou d'arrêt de travail. Il y a aussi un problème d'accès aux soins et à la protection sociale.
Peut-on voyager dans ces conditions ? Ne serait-ce que prendre le train ?
Si une personne est contrôlée dans le train avec un titre de séjour périmé, elle risque un placement en retenue administrative. Quant aux voyages à l'étranger, ils deviennent impossibles sans document valide. Une personne qui quitte le territoire pourrait se voir refuser l'entrée en France au retour.
Ce problème est-il propre à la préfecture du Rhône ou concerne-t-il toute la France ?
C'est un problème national, mais la préfecture du Rhône est particulièrement touchée par des délais anormalement longs. La justice a déjà condamné cette préfecture pour des traitements excessivement longs des demandes.
La dématérialisation des demandes de titre de séjour est-elle une cause de ces problèmes ?
Oui, c'est une des causes. Depuis la crise du Covid, les démarches sont passées sur la plateforme ANEF (Administration Numérique des étrangers en France). Mais une fois qu'un dossier est déposé, il est impossible d'obtenir un suivi humain. Il y a des problèmes d'interruption de droits, des difficultés pour les personnes ne maîtrisant pas l'informatique ou n'ayant pas accès à internet. On aurait pu croire que la dématérialisation accélérerait le traitement des dossiers, mais elle a surtout allégé la charge des préfectures au détriment des usagers.
Pour vous, ce système n'est donc pas encore au point ?
Non, il présente encore trop de dysfonctionnements. L'ergonomie est mauvaise et de nombreux cas de figure n'ont pas été prévus par le système.
Très bien, ce sera le mot de la fin. Merci beaucoup Maître Hassid d'être venue sur notre plateau pour nous présenter ces problématiques. Quant à vous, merci d'avoir suivi cette émission. Vous pouvez retrouver plus de détails sur notre site Lyon Capitale. À très bientôt.
"Aujourd'hui, les délais ont tous explosé" Logique vu le nombre d'entrées sur le territoire !
Non, logique vu que la préfecture fait tout pour ne pas être au niveau parce qu'elle pense qu'en mettant plein de barrières (temps, argent etc) il y aura moins d'immigration. Comme si ça pouvait changer quoi que ce soit à la misère qu'ils fuient tous.