L’agent du Grand Lyon qui avait tenté de s’immoler par le feu en juillet 2012 a livré son témoignage devant les caméras de TF1. Il parle d’une décision réfléchie et affirme avoir voulu protester “dans un coup d’éclat”.
En juillet 2012, un agent du Grand Lyon tentait de s’immoler par le feu sur son lieu de travail. Dimanche 9 juin, il livrait pour la première fois son témoignage à Thierry Demaizière, devant les caméras de l’émission de TF1 Sept à huit.
Visiblement encore fragile, l’homme âgé de 49 ans revient tout d’abord sur l’altercation avec sa hiérarchie qui avait entraîné sa condamnation à 12 jours de suspension. Une sanction qui avait été à l’origine de son geste. “Quand on en arrive là, c’est qu’on a l’impression de ne plus avoir de recours, on est au bout du rouleau et on se sent lésé, lynché, lâché. C’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé pouvoir faire, mais j’étais à bout. D’ailleurs, l’altercation en elle-même était vide de sens.”
Pour cet homme, qui a bâti une grande partie de sa vie sur le travail, ces douze jours de suspension résonnent comme “une exécution”. “Je n’étais jamais passé au tribunal, alors me retrouver au tribunal administratif, pour moi, c’était un déshonneur total”, explique-t-il, la gorge serrée.
“J’avais concrètement énoncé mes intentions”
Pourtant, la décision n’a rien d’irréfléchi. Ce serait même tout le contraire. L’homme confie avoir prévenu un de ses formateurs lors d’un stage de gestion du stress : “J’avais concrètement énoncé mes intentions. Je lui ai dit que si je devais avoir un seul jour d’exclusion je passerais à l’acte et je m’immolerais.” Et d’expliquer : “Oui, c’est un acte prémédité. Je ne savais pas quand et ce que j’allais le faire. A un moment donné, à huit heures et demie du matin, je me suis dit : C’est maintenant. J’ai eu le temps d’y réfléchir. Je suis allé acheter un briquet. J’ai été chercher un bidon d’essence dans le box des cantonniers. J’ai rassemblé mes affaires, je les ai posées sur mon bureau. J’ai téléphoné aux collègues. Je les ai appelés pour les prévenir et leur dire de descendre avec un extincteur.” Malheureusement, il ne réussira à joindre personne.
“C’est un collègue qui est sorti de l’atelier à ce moment-là, qui m’a vu sur le parking avec le bidon d’essence, il a compris. Il m’a dit : “Manu, fais pas le con ! Arrête !” Il n’osait pas s’approcher de moi, mais j’ai senti qu’il allait m’en empêcher, et quand j’ai senti qu’il allait m’en empêcher, j’ai allumé”, détaille-t-il.
Il assume cet appel au secours. Il explique avoir espéré ne pas avoir à le faire. “Je n’ai jamais voulu mourir”, martèle-t-il. Puis de décrire la scène : “Je me suis aspergé d’essence sur le thorax, et ça a coulé, imbibé mes vêtements jusqu’aux genoux. Et j’ai allumé.” Sa voix se faisant plus vibrante, la gorge nouée, il évoque une douleur “indicible”, il raconte les collègues qui arrivent 30 secondes plus tard avec l’extincteur ; la manière dont il a tenté de se débarrasser de ses vêtements. “Je hurlais de douleur, j’ai réussi à enlever le haut. Et mon collègue a éteint les flammes, mais je ne m’en souviens plus vraiment puisque j’ai un peu perdu connaissance à ce moment-là. Je me suis réveillé à un moment. J’étais à genoux sur le sol, torse nu, la peau en lambeaux et un collègue m’aspergeait avec une lance à incendie en attendant les pompiers.”
“On ne peut pas être un menteur quand on fait ce genre de geste”
Après deux mois de coma, il se réveille avec 80 % du corps brûlé et un doigt en moins. “Au début, j’étais sous morphine et euphorique. Je pensais que la semaine d’après j’allais pouvoir reprendre le travail. Mais, quand on m’a retiré la morphine, je me suis rendu compte de mon état. J’avais perdu 24 kilos, je ne pouvais plus marcher, je me déplaçais en fauteuil. Je ne pouvais plus manger. Je ne pouvais plus me regarder dans une glace, d’ailleurs les infirmières du centre avaient recouvert les glaces. J’étais chauve et complètement détruit, et là je suis tombé au fond”, tente-t-il d’expliquer, des trémolos dans la voix.
Sur la nature de son geste, il explique que les cas d’immolation dans le monde du travail qu’il avait pu voir à la télé lui ont permis de comprendre que c’était le moyen qu’il fallait qu’il utilise. “Ça ne peut être fait que dans la vérité. On ne peut pas être un menteur quand on fait ce genre de geste. On le fait pour rétablir la vérité et aussi pour faire bouger les lignes. Pour que les choses changent. Parce que, moi et mes collègues, nous subissons beaucoup.”
“Il n'y a que l'honneur qui nous tient”
Il revendique cet aspect spectaculaire de l’immolation. Les seuls regrets qu’il nourrit concernent “le mal” qu’il a fait à sa famille. Aujourd’hui que sa sanction est levée, il le vit comme une réhabilitation. “C’est cher payé, mais je pense que l’honneur d’un homme vaut cher. Il n’y a que ça qui nous tient. Le sacrifice est à la hauteur de l’investissement moral qu’on a mis. Être humilié dans son travail, c’est aussi être réduit à néant, parce que le travail c’est toute une vie.”
Le geste qu’il a commis et qu’il assume, il ne le conseille à personne. “Si quelqu’un est dans cette situation, je lui conseille d’aller voir quelqu’un et de se faire soigner. Je n’ai jamais voulu mourir. Ce que je voulais, c’était protester. Je voulais que ça se fasse dans un coup d’éclat.” Quant à retourner travailler, il aimerait. Et, s’il n’en est pas capable pour le moment, il affirme qu’il travaillera pour.
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