Les nouvelles prisons, déjà dépassées ?

“La prison du futur”, selon les termes de la Garde des sceaux Rachida Dati pour qualifier la maison d’arrêt de Corbas, apporte une véritable amélioration aux conditions matérielles de détentions. Mais le quotidien des détenus ne sera pas nécessairement meilleur. Explications.

Du Moyen-âge au 21ème siècle

Un transfert de détenus exceptionnel aura lieu en ce début de mois de mai. Exit les rats qui courent dans les couloirs, les douches communes délabrées, les fenêtres des cellules qui ne ferment pas l’hiver, la chaleur écrasante et l’odeur pestilentielle l’été. Tout ça appartient au passé, à celui des prisons de Perrache, désormais remplacées à Corbas par un complexe architectural surplombé d’un mirador exceptionnellement haut de 18 mètres, et au-dessus duquel ont été tendus des filins anti-hélicoptères. Toutes les cellules sont équipées d’une douche et de toilettes, séparés des lits par une cloison, mais visibles du couloir par l’œilleton. Elles sont aussi dotées d’interphones en lien avec le poste de contrôle des surveillants.

Vert pour les hommes, rouge pour les femmes : la prison de Corbas est pensée pour séparer les deux départements. De la même façon que les prévenus, en attente de jugement, seront détenus dans un bâtiment distinct de celui des condamnés. Mais malgré tous ces équipements high tech, télé écran plat, terrain de foot et gymnase, qui ont même fait dire à un journaliste lors de la présentation des lieux, encore vide de détenus, qu’ils avaient “quelque chose d’un Ikea”, l’ombre de la surpopulation plane déjà sur Corbas.
Une prison surpeuplée...

Si elle compte 690 places (dont 60 pour les femmes), on prévoit déjà d’ajouter des lits superposés dans les cellules individuelles. “Il n’y aura plus jamais de matelas au sol”, jure le directeur de Corbas Georges Boyer, c’est un premier coup de canif dans les règles pénitentiaires européennes auxquelles tentent de répondre les prisons nouvellement construites. “Il faut savoir que tous les détenus ne tiennent pas à être seuls”, justifie l’administration pénitentiaire. Plus il y a de monde dans l’établissement, plus les mouvements sont compliqués.

Certains annoncent même 900 détenus pour 690 places début 2010. Avoir la charge d’un nombre aussi important de détenus, “devient un casse-tête pour les surveillants”, souligne Jean-Marie Delarue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (nouvelle autorité indépendante). “Les surveillants ont du mal à gérer les mouvements vers les différents lieux d’activités, les parloirs ou encore l’unité de soin. Ils les limitent donc au maximum. Autrement dit, ils évitent toutes demandes spontanées. On fait naître des frustrations”.
...mais des détenus isolés ?

Autre facteur de tension : la taille de l’établissement ainsi que son organisation sécuritaire vont rendre les contacts avec les surveillants plus rares. De 420 à Saint-Paul/Saint Joseph, l’effectif global du personnel de la prison passera à 360 à Corbas, soit une baisse de 15%. Dans son quotidien, le détenu rencontrera alors moins de personnel. Lorsqu’il cheminait pour aller à la douche ou aux parloirs, il rencontrait à chaque franchissement de porte un surveillant. Là, d’un poste de contrôle, le surveillant autorisera ou non l’accès aux différentes zones grâce à des caméras et des systèmes biométriques. “Avec ces prisons de grande taille, on réalise certes des économies budgétaires en terme de construction et de gestion puisqu’il faut moins de personnel. Mais ce gigantisme implique des coûts sociaux en matière de réinsertion, explique le Contrôleur général. On a notamment une distanciation des relations. Les surveillants n’occupent jamais le même poste. Personne ne connaît plus personne. Résultat : les détenus sont privés de contacts personnels, ils se renferment sur eux”.
Pour lutter contre ce phénomène, le directeur de Corbas promet de mettre en place “un certain nombre de dispositifs qui imposeront au personnel d’avoir un contact plus réel, plus fréquent et plus constant avec l’ensemble des détenus”.
Tolérance zéro

Comme le reconnaît le directeur de la prison de Corbas et ancien directeur de Saint-Paul/Saint-Joseph, il y avait là-bas une plus grande tolérance “en raison de l’insalubrité des locaux”. Les détenus circulaient dans les couloirs, ils pouvaient aller récupérer une cigarette ou un CD dans la cellule d’à côté, ils pratiquaient pendant quelques minutes un parloir sauvage avec l’extérieur.

À Corbas, c’en sera fini de cette marge de liberté. La procédure va s’appliquer. Dans toute sa froideur. Ancien détenu et actuel directeur de l’association Accès libre, Eric Jaillat a connu dans sa longue carrière carcérale deux déménagements. “Et à chaque fois, les règles sont appliquées avec une grande rigueur. Ça peut aller jusqu’à interdire de coller des photos de soi au mur !” Les lieux sont aussi pensés pour qu’il soit plus difficile de lancer par-dessus l’enceinte téléphones portables et barrettes de cannabis, souvent considérées et tolérées en tant que soupapes à la vie en détention. Pour Georges Boyer, le directeur de Corbas, la drogue est, au contraire, “un objet d’échange et de trafic, qui génère violence, racket, dépendance et prise d’autorité les uns sur les autres”. Il annonce un renforcement des contrôles.

Surpopulation, gigantisme, déshumanisation, absence de marge de manœuvre, nombreux craignent une augmentation des violences vis-à-vis des surveillants, entre détenus ou vis-à-vis d’eux-mêmes. “Avec ce déménagement, on résout le problème de l’insalubrité. Mais en renforçant la sécurité, on déshumanise un peu plus ces lieux. On peut penser qu’il y aura une aggravation du climat de violence”, conclut Céline Reimeringer, la déléguée régionale de l’Observatoire International des Prisons (OIP).

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