Un club qui gagne à sept reprises le Championnat de France et dont la gestion économique est unanimement saluée ne peut, a priori, que constituer une chance pour son territoire. Mais pour son développement, l’OL a de vastes ambitions européennes, notamment incarnées par le Grand Stade. Quelle place pourront alors trouver dans un projet aussi gigantesque, et unique en France, les acteurs économiques locaux ?
Le “premier ambassadeur” de la ville
“Est-ce que l‘OL est une chance pour Lyon ? Posez la question à Gérard Collomb, vous allez voir si ce n’est pas une chance pour le rayonnement de la ville”, affirme comme une évidence l’un des principaux partenaires commerciaux du club de foot. Quand il s’agit de montrer à quel point les Benzema, Juninho et autres crampons portent les couleurs de Lyon, les anecdotes pleuvent. Guy Mathiolon, président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon, raconte que lors d’un voyage à Dubaï, une délégation lyonnaise a été accueillie par un émir qui, ignorant le protocole et Gérard Collomb, “s’est précipité en direction de Jean-Michel Aulas pour lui demander un tee-shirt de l’OL et un autographe de Benzema”.
Cet automne, à l’occasion d’un concert à Lyon, le rappeur américain Snoop Dogg a proposé pour intermèdes une version toute personnelle du fameux “qui ne saute pas n’est pas Lyonnais”, affublé sur la scène de la Halle Tony Garnier du maillot de l’OL et brandissant un drapeau français. OL ambassadeur de Lyon sur la scène internationale, sportive mais aussi économique, “la réponse est oui, évidemment”, répondent en chœur les partenaires du club. Mais cette machine de promotion bien huilée porte-t-elle ses fruits sur sa propre terre ?
L’OL, un “super coup” pour les entreprises locales
“Les jours de matches en ligue des Champions, les bars et restos qui diffusent le spectacle doublent, voire triplent leur chiffre d’affaires”, calcule Roland Bernard, président du principal syndicat hôtelier dans le Rhône. Et bien au-delà des recettes hôtelières qu’on peut sans surprise attendre du “matchday”, c’est “l’ensemble du monde économique qui s’est approprié l’image du foot”, estime-t-il. Les premiers bénéficiaires de l’aubaine médiatique que représente l’OL sont bien sûr ses partenaires publicitaires. Renault Trucks, sponsor local historique, s’affiche sur les divers supports de l’OL depuis sept ans.
“Nous avons démarré le partenariat en 2001, juste avant que le club ne décroche son premier titre, ce qui a été pour nous un super coup”, se souvient Pascale Causse, responsable de la communication chez Renault Trucks. Par ailleurs, le lien avec l’OL fait partie de la culture de l’entreprise Renault Trucks, où, assure-t-elle, on a développé une “fierté d’appartenance”. “Quand on a lancé le partenariat avec le club pour un montant de trois millions d’euros, les syndicats sont montés au créneau, raconte Pascale Causse. Mais aujourd’hui, ça s’est inversé : les employés, cols bleus comme cols blancs, ne comprendraient pas si nous arrêtions toutes nos animations avec l’OL”. Ce partenariat est donc ici un bon moyen de maintenir une paix sociale, en même temps qu’il aurait “amélioré le positionnement de la marque Renault Trucks sur le marché français”.
Un investissement multiplié par dix
Du côté d’Apicil, le second partenaire lyonnais majeur de l’OL, les comptes sont bons également. Sur la saison 2007/2008, les retombées pub en images télé (où l’on voit clairement la marque apparaître sur les maillots des joueurs) sont estimées par Apicil à onze millions d’euros. Et les retours en presse écrite sont évalués à plus d’1,23 million d’euros (sur 18 titres différents). Soit près de 13 millions d’euros de retombées publicitaires, pour un investissement d’un million d’euros sur une seule saison. Les chiffres sont de tradition fournis par l’institut de sondage TNS, missionné par l’OL, qui les calcule à partir des tarifs des espaces publicitaires proposés par les journaux et les chaînes de télévision.
“On ne connaît pas vraiment l’influence de la pub sur nos ventes, mais en tout cas notre présence sur olweb.fr génère un trafic fou sur notre propre site”, explique Nathalie Gateau, directrice de la communication. La construction d’un réseau d’influence économique est, elle, indéniable. D’ailleurs, celui formé par les partenaires majeurs de l’OL est très solidaire, et les trois commerciales représentantes d’Accor, Apicil et Renault Trucks, sociétés qui se partagent la loge centrale de Gerland, ont hérité à Lyon du surnom de “dream team”. “On fait bloc devant l’OL, afin de négocier chacune au mieux nos contrats avec le club”, explique Pascale Causse. Un jeu commercial classique mais dont l’équilibre risque de basculer, dès lors que le Grand Stade sera réalisé. S’il l’est un jour. Ce dont personne ne semble plus douter.
OL land : un virage dans le fonctionnement économique du club
“Le ticket d’entrée au Grand Stade sera bien trop cher pour nous”, prévoient déjà les sponsors Apicil et Renault Trucks. Pour ce dernier, Pascale Causse ajoute : “si même l’entreprise la plus importante de Lyon ne peut pas s’aligner, il est certain que les sociétés visibles sur les maillots et sur le stade ne seront plus locales mais multinationales.” OL land pourra-t-il alors rester un projet territorial ? Frédéric Bolotny, économiste du sport, imagine que c’est là l’une des seules inquiétudes pesant encore sur le dossier du Grand Stade, dont la construction prochaine ne semble plus qu’une histoire de temps.
En effet, selon lui, l’ancrage d’un club de foot et de son stade sur son territoire est indispensable pour sa crédibilité. Surtout si le projet de son développement peut demander, comme c’est prévu pour l’OL land, 180 millions d’euros d’argent public. “La note est très salée, c’est sûr, poursuit Frédéric Bolotny, mais cela peut passer si, à côté de ce projet, coexiste celui d’un véritable aménagement du territoire.” Du côté du Grand Lyon, la réponse est évidemment positive. “Le Grand Stade n’est pas un élément isolé dans le développement de l’Est lyonnais, et c’est même un moteur de cette action”, assure Roland Crimier, vice-président chargé des grands projets au conseil communautaire. Et avec le récent discours de Bernard Laporte qui prônait “la reconnaissance du caractère d’intérêt général des grandes enceintes sportives, quel que soit leur mode de financement, privé, public ou mixte”, il ne resterait donc quasi plus qu’à se poser la question du nom du futur stade. “En matière de naming comme en matière de sponsoring sportif général, le maître-mot est la légitimité, affirme Frédéric Bolotny.
Il ne faut pas s’ouvrir à des marques cannibales, et il faut un ancrage territorial. MMA pour le stade du Mans, ça fonctionne bien, car c’est une entreprise locale. Je ne suis pas sûr, par exemple, que Coca Cola soit très légitime pour Lyon.” Pourtant, Serge Bex, commercial de la régie Sportfive en charge des contrats publicitaires de la marque OL, n’est pas aussi catégorique. “Oui, Coca Cola peut être une idée, comme une autre, lâche-t-il, évasif. Je ne peux pas encore en parler, mais au regard du tarif qui sera demandé pour le Grand Stade, je ne crois pas, en effet, que beaucoup d’entreprises rhonalpines puissent y répondre.”
Business et victoires sportives : un cercle vertueux…
“Plus j’ai de ressources, plus je suis compétitif, et plus je suis performant. Il faut qu’on élargisse les couches des gens qui pensent OL, qui consomment OL”, déclarait Jean-Michel Aulas dans une interview accordée au journal L’Équipe en décembre dernier. Si le club compte donc quelques gros sponsors visibles sur les maillots et sur les bannières du stade, il nourrit également son fameux “Club des 100”, un réseau réunissant aujourd’hui près de 500 entreprises, qui bénéficient d’espaces “hospitalité”, tels que les a baptisés le club, pour inviter des clients les jours de matches. Prix de départ d’une seule place en loge : 5000 euros pour la saison. Rattachées à la locomotive actionnée par l’OL, les entreprises multiplient les rendez-vous d’affaires au stade de Gerland, pour voir jouer une équipe de foot qui a, en outre, le bon goût de gagner régulièrement. Des contrats se signent-ils alors qu’à quelques mètres de là, sur la pelouse, Govou tente un centre ? “Oui, c’est certain, répond sans hésiter Pascale Causse pour Renault Trucks, nous faisons souvent venir des clients étrangers, il y a une atmosphère conviviale au stade qui fait tomber les cravates.” “L’OL est un accélérateur d’affaires incroyable”, ajoute Nathalie Gateau, d’Apicil.
Avec l’ensemble de ces partenariats commerciaux, qui ont atteint plus de 20 millions d’euros lors de la saison dernière, le club nourrit ses caisses sans mal et, plus riche, gagnerait donc plus de compétitions. Un cercle vertueux que Jean-Michel Aulas entretient avec vigueur, bien que nombre d’entreprises se précipitent d’elles-mêmes pour être sponsors ou partenaires. “Ceci n’est vrai qu’en partie, on garde quand même une mentalité de prospection, précise Olivier Bernardeau, directeur commercial de l’OL et proche de Jean-Michel Aulas, soucieux de ne pas s’endormir sur ses lauriers. C’est de toutes façons dans l’état d’esprit de notre président”. Jean-Michel Aulas est en effet le meilleur VRP d’OL-Groupe puisqu’”il l’incarne”.
La marque est érigée en véritable “modèle lyonnais”, et c’est ainsi qu’elle a été présentée aux ambassadeurs d’OnlyLyon qui ont organisé en décembre dernier leur rencontre annuelle au stade de Gerland. Bénéficiant en avant première d’une présentation laudative du projet du Grand Stade, menée tambour battant par un autre homme fort de Jean-Michel Aulas, Mathieu Malkani, chargé de la promotion de l’OL sur l’international, ils ont semblé séduits par le décorum. Et cette soirée a aussi représenté une aubaine pour le club qui a pu se promouvoir devant 400 acteurs économiques et autant d’éventuels futurs partenaires, réunis à la maison. Selon Frédéric Bolotny, chercheur en économie et droit du sport, “l’aspect positif du club lyonnais, même si ce n’est pas très glamour, c’est son côté rationnel, car il y a besoin d’un peu de rationalité dans cette industrie du sport particulièrement affective.”
Vertueux n’est pas qui veut
Dans une étude réalisée en 2005, Frédéric Bolotny affirme que “l’on assiste à une évolution de fond du sponsoring sportif, qui se décline désormais en sponsoring citoyen”. Pour lui, le secteur professionnel du sport a intérêt à réaliser des choses pour son territoire, “même s’il ne s’agit que de communication, les sponsors eux-mêmes sont de plus en plus à la recherche de sens, et plus seulement de puissance.” Apicil confirme : “nous faisons beaucoup de mécénat social, et nous avons commandé une étude pour savoir si le partenariat de notre société de mutuelle avec l’OL pouvait choquer.”
Le club lyonnais semble en effet avoir du mal à se débarrasser d’une image pas toujours positive d’entreprise très offensive, notamment véhiculée par un président hyperactif qui n’hésite pas à parler business et développement de façon hyperbolique. “Cette sensation que Jean-Michel Aulas fait passer en force des mesures qui ne vont que dans son intérêt et celui de son club joue contre lui, en terme de communication, analyse Frédéric Bolotny. Un OL land peut toutefois être une vitrine exceptionnelle pour Lyon, car la zone de chalandise du stade ne sera sans doute pas seulement régionale ni même nationale, mais plutôt européenne.”
Sommaire du Dossier Foot :
- Débat Jean-Michel Aulas contre Etienne Tête
- Le foot, un levier de développement ?
- Supporters et club : "Je t'aime moi non plus"
- Lyon est-elle vraiment une ville de foot ?
- Tout est OL
- Il n'y a pas que l'OL
- Le tabou du dopage
- "Le dopage est consubstantiel au sport de haut niveau"
- Les petits secrets de Lacombe
- Entrer dans un centre de formation (et en sortir...)
- "Le sport est une machine à faire penser"