CE SNCF Lyon
© Tim Douet

Caisse noire des syndicats : l’amnistie en douce ?

Le PS a discrètement modifié la proposition de loi visant à amnistier les syndicats. Sont désormais concernés des délits pénaux tels que l’abus de confiance et le blanchiment. De quoi enterrer les affaires de malversations commises notamment au sein de la SNCF à Lyon, qui devaient bientôt arriver devant le tribunal correctionnel ? Le risque est réel.

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Les révélations sur le financement occulte des syndicats se sont succédé à un rythme soutenu ces dernières années. L’UIMM, puissante fédération patronale de la métallurgie, avec sa caisse noire et ses retraits en liquide plutôt étranges. EDF et GDF, avec leurs comités d’entreprise dont les fonds auraient été “siphonnés” par la CGT et le Parti communiste. La RATP, qui choyait ses syndicats plus que de raison.

Sans oublier l’affaire du comité d’établissement régional de la SNCF à Lyon, un dossier que Lyon Capitale a particulièrement suivi et qui pourrait lui aussi connaître un enterrement de première classe. Huit syndicats sont pourtant renvoyés devant le tribunal correctionnel de Lyon, pour une audience du 26 au 28 juin prochain. Ils sont accusés de recel d’abus de confiance, faux et usage de faux.

Autre scandale : le rapport de la commission parlementaire Perruchot sur le financement des syndicats, enterré en 2011. “Malgré une centaine d’auditions, ce rapport, très précis et bourré de détails, démontrait qu’il n’y avait pas de problèmes qu’à la SNCF”, se souvient Jean-Luc Touly, conseiller régional (EELV) d’Ile-de-France et coauteur du livre L’Argent noir des syndicats en 2008, auditionné dans le cadre de ce rapport. “Nicolas Perruchot a été lâché par tous, regrette-t-il. Il ne fallait pas légiférer sur le monde syndical et ce qu’il y a autour, à l’approche des élections présidentielle et législatives.”

Délits financiers : cet amendement qui blanchit les syndicats

Un amendement passé relativement inaperçu, déposé par la sénatrice socialiste Virginie Klès, crée en effet des remous à droite comme à gauche. Au cœur du dossier ? La proposition de loi visant à amnistier les syndicats, approuvée par le Sénat fin février. Dans sa première mouture, le texte ciblait les “infractions passibles de moins de dix ans d’emprisonnement”, commises avant le 6 mai 2012 et dans certaines circonstances. En gros, lors de conflits du travail et de manifestations.

La version adoptée par le Sénat semble a priori plus sévère pour les syndicats, puisqu’elle ne propose d’amnistier que des faits passibles de moins de cinq ans de prison, et commis “entre le 1er janvier 2007 et le 1er février 2013”. En réalité, la catégorie de faits concernés est nettement plus large, puisqu’il s’agit des “contraventions et délits prévus au livre III du Code pénal”.

Or, que trouve-t-on dans ce fameux livre III, dédié aux “crimes et délits contre les biens” ? Outre les “destructions, dégradations et détériorations”, citons, pêle-mêle : les vols – simple et aggravé –, l’extorsion et le chantage, l’escroquerie et l’abus de confiance, le recel et le blanchiment. Bref, une liste d’éléments bien éloignés des exactions observables lors d’une manifestation qui dégénère.

“J’ai beau être syndicaliste, cet amendement est pour moi inacceptable !”

“Le Sénat vote une proposition de loi pour sauver les syndicats de la correctionnelle”, s’étrangle l’association Sauvegarde Retraites. “Le risque est avéré”, confirme Jean-Luc Touly, qui a demandé à l’association Anticor, dont il est membre du conseil d’administration, de s’opposer à cet amendement et d’interpeller en ce sens la ministre Taubira.

“C’est un scandale : j’ai beau être syndicaliste, cet amendement est pour moi inacceptable, déclare-t-il. Il peut conduire à l’amnistie de délits financiers, tels ceux qui ont été dénoncés au sein du conseil d’établissement régional de la SNCF à Lyon. Or, je ne veux pas que cette affaire soit enterrée !”

Le texte adopté par le Sénat ne limite-t-il pourtant pas la portée de l’amnistie aux faits commis pendant des grèves ou des manifs ? “Oui, mais, en matière de loi, il est toujours possible d’interpréter. En droit, il faut être précis : le présent texte entretient un doute sérieux. Nous voulons que soient explicitement exclus du champ d’application de la loi les délits financiers et autres malversations.”

“Le secrétaire du CER s’était vanté d’être intouchable : il avait peut-être raison”

La proposition d’amnistie revient à “enterrer les procès”, estime quant à lui Philippe Chabin, ancien secrétaire du comité d’établissement Clientèle de la SNCF à Paris. “Car seules les personnes morales sont poursuivies, pas les personnes physiques, explique-t-il. C’est comme pour le rapport Perruchot : la CGT savait que le PS voterait contre la publication, tandis que Xavier Bertrand a demandé aux députés UMP de s’abstenir. Résultat : le rapport est enterré.”

Willy Pasche devant le CER de la SNCF à Lyon

© Tim Douet

Willy Pasche, membre du CER de la SNCF à Lyon, se dit “abattu”. C’est lui qui avait dénoncé l’accord secret signé par les syndicats pour se partager la manne du budget de fonctionnement. “Lorsque j’avais été reçu par le procureur, raconte-t-il, j’avais signalé que le secrétaire [du CER de la SNCF à Lyon] de l’époque s’était vanté devant moi et un collègue d’être intouchable : il m’avait à l’époque dit clairement que je m’attaquais à trop gros, que je ne pouvais pas comprendre et que j’allais voir, qu’ils avaient des soutiens au niveau politique, des prud’hommes, de l’inspection du travail et de la direction de la SNCF. Je lui avais signalé que je ne le croyais pas et que j’irais jusqu’au bout. En fait, il avait peut-être raison.”

De l’avis général, le gouvernement Hollande envoie un signal désastreux en accordant quasiment aux syndicats un blanc-seing pour de nouvelles malversations. On ignore encore si la proposition de loi passera sans modification à l’Assemblée nationale, mais on sait déjà que cette affaire occupera un gros chapitre dans le prochain livre de Jean-Luc Touly, prévu pour septembre : La Face cachée des syndicats.

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