Caisse d'Epargne : l'écureuil épargne des antidépresseurs

Face au mutisme des directions, des syndicats se sont emparé des maux dont souffrent les employés. Fin 2008, les syndicalistes SUD de la Caisse d'Epargne ont rendu une enquête choc. 27,5% des employés du groupe prendraient des antidépresseurs. Un résultat qui ne surprend même pas les observateurs. (Article paru dans le numéro d'avril de Lyon Capitale)

A la Caisse d'Epargne, un salarié sur quatre suivrait un traitement à base d'antidépresseurs. Le chiffre qui alarme sur le mal-être de nos banquiers émane d'une enquête nationale réalisée par le syndicat SUD. Les syndicalistes ont fait circuler un questionnaire sur la souffrance au travail dans les diverses succursales de la banque. 4 922 employés, sur les 50 000 que compte le groupe, ont répondu volontairement.

L'ampleur du résultat n'a pas pour autant mis le feu aux poudres. "L'enquête a officiellement été reconnue de valeur non scientifique. Il n'y a que des militants de SUD qui ont répondu. Cette enquête n'a pour nous aucune légitimité", répond Marc Cogrel, attaché de presse du groupe Caisse d'Epargne.

"Ce travail est assez représentatif de l'état des salariés de l'entreprise. Et le résultat n'a pas été une réelle surprise. Il ne faisait que corroborer ce que nous observions sur le terrain depuis quelques années", se défend Jean-Luc Pavlic, délégué syndical SUD de la Caisse d'Epargne.

Un de ses collègues de la CGT Le Crédit Lyonnais abonde : "transposée aux autres banques en général, j'adhère totalement à cette étude. Dans notre secteur, les conditions de travail se sont totalement détériorées. La charge de travail a augmenté, le personnel a diminué et la pression est permanente".

Le management au cœur de tous les maux
Les psychiatres ont tous dans leur clientèle des banquiers. Le secteur souffre et cible le management comme tourmenteur numéro un. La cassure se produit lors du passage au nouveau millénaire. Le métier de banquier est entièrement repensé.

La Caisse d'Epargne a opté pour un nouveau mode de management basé sur des données chiffrées. Les cadres photos des employés du mois inventés dans des fast-foods américains ont traversé l'Atlantique. "Avant il s'agissait de concours entre les diverses Caisse d'Epargne régionales de France. Et puis de manière insidieuse, le système est arrivé sur l'intranet de l'entreprise mais individualisé cette fois. Les vendeurs sont donc classés en fonction de leur production. Tout le monde peut voir qui est le meilleur et les bonnes performances deviennent la valeur étalon", analyse Jean-Luc Pavlic.

Un système qui a aussi le vent en poupe dans d'autres établissements bancaires. "Les données chiffrées sont individualisées et permettent d'établir des classements des salariés selon les produits qu'ils ont vendus", explique une employée de la Banque Populaire. Une société qui a fusionné avec la Caisse d'Epargne.

Des salariés déboussolés
L'entrée des colonnes de statistiques dans le travail au quotidien a aussi bouleversé le cœur de métier des banquiers. "Dans le travail actuel, nous n'avons plus le temps de conseiller. On doit vendre des produits. Nous subissons une pression permanente. Le manager vient nous voir en nous disant : "ton collègue a déjà réalisé 30% de ses objectifs et toi seulement 10%". Alors on vend n'importe quel produit à n'importe qui", regrette une gestionnaire de clientèle de la Caisse d'Epargne. "Avant nous réalisions des études de besoins des clients afin de leur proposer des prêts ou des crédits adaptés. Aujourd'hui, on essaie de leur placer le plus de produits possibles. Nous avons perdu le côté noble du métier : le conseil. Les clients qui n'ont pas beaucoup de ressources, nous passons le moins de temps possible avec eux", soupire un salarié de la banque LCL.

Dans l'enquête SUD, ce changement de métier apparaît comme l'une des grandes causes de souffrance. 38% parlent d'une perte de qualité de leur travail et 70,4% estiment que le travail qu'ils effectuent quotidiennement ne correspond pas à l'idée qu'ils se faisaient de leur métier.

"Les banquiers que je rencontre se posent des questions éthiques et ont l'impression de faire des choses qui vont contre l'intérêt de leurs clients. Ils ont l'impression qu'on les empêche de faire le travail correctement", souligne Annie Deveaux, médecin du travail et oreille attentive au sein du réseau Souffrance et Travail créé par la mutuelle de France.

"Quand on contacte une personne âgée pour lui vendre un produit sur du moyen ou long terme, cela peut poser des problèmes de respect des gens et même de son métier. Atteindre ces objectifs engendre parfois des problèmes éthiques", affirme une employée de la Banque Populaire.

"Les scrupules rendent les salariés malades. Ceux que l'on félicitait avant se sentent mal aujourd'hui", poursuit Jean-Luc Pavlic, délégué syndical de l'établissement bancaire. Selon l'enquête SUD, 32,2% des salariés interrogés avouent avoir transgressé certaines règles déontologiques sous la pression de leur hiérarchie.

Des objectifs inatteignables
Atteindre les objectifs fixés par la hiérarchie est devenu un leitmotiv pour les employés. "Certains viennent même plus tôt le matin pour prendre de l'avance", glisse une syndicaliste CGT.

D'après l'enquête de SUD, 79,4% des commerciaux du groupe trouvent les objectifs inatteignables. "C'est mission impossible. Un employé au guichet, en plus de répondre au téléphone et d'accueillir les clients, doit caler quatre rendez-vous dans la semaine et réaliser 16 ventes.Et il est tout seul alors qu'avant deux ou trois personnes tenaient un guichet", dénonce une employée de la Caisse d'Epargne.

Une autre tempère : "J'arrive à atteindre mes objectifs. Mais à la fin mes supérieurs me disent que c'est parce que mes objectifs fixés ne sont pas assez élevés. Ils veulent toujours plus".

Idem dans d'autres banques. "Chez nous, à la Banque Populaire, il est possible de les réaliser mais il faut passer son temps à vendre", estime une conseillère. Le conseil n'est plus une priorité.

Conjuguées à une baisse des effectifs, ces nouvelles priorités créent un climat de malaise dans les établissements bancaires. Et pour les salariés les plus fragiles, il peut se transformer en maladie. "Après vingt ans de métier, je conçois aisément que certains craquent", estime une employée de la Caisse d'Epargne embauchée en 2006.

Les arrêts de travail se sont multipliés ces dernières années au sein de l'établissement bancaire. D'autres salariés craquent littéralement sur leur lieu de travail. Des crises de larmes en réunion, en rendez-vous avec un client ou au guichet pour le personnel d'accueil.

De nouvelles fournitures de bureau
A la fin de leur journée, les salariés de la Caisse d'Epargne emportent leur souffrance à la maison (66,6% de oui sur les 4 952 réponses). "On a longtemps cru que les gens étaient mal à cause d'un problème personnel mais en fait, c'est le travail qui fait souffrir", analyse Jean-Luc Pavlic.

La Caisse d'Epargne n'est pas la seule touchée. Le problème est commun à tout le système bancaire décidément au cœur du cyclone 2009. Ne manque plus que des enquêtes pour mettre un nom sur une souffrance.

Principaux résultats de l'enquête SUD "Souffrance au travail dans les Caisses d'Epargne"
27,5% ont pris un antidépresseur
38% souffrent de la perte de qualité dans leur travail
70,4% des commerciaux ont l'impression que leur travail ne correspond pas à l'idée qu'ils s'en faisaient
30,3% ont eu un arrêt de travail imputable au travail
52,8% ont des difficultés pour s'endormir
70,8% se sentent irritables
66,6% constatent des conséquences dans leur vie familiale
46,9% ont déjà eu le sentiment de subir du harcèlement au travail

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