Dossier Jeu : Ce soir, pas de jackpot

Reportage au Lyon Vert, à Charbonnières, deuxième casino le plus rentable de France.

22 heures 30, arrivée sur l’immense parking du casino le Lyon Vert, à Charbonnières-les-Bains, bateau-amiral de la famille Partouche. En rang d’oignons, des centaines de voitures venant du Rhône, de la Drôme, d’Isère, de Côte d’Or, de Savoie, de Haute-Savoie et... une Ford Galaxy immatriculée dans l’Oise. Pour l’occasion, j’ai enfilé une chemise, ma consoeur a chaussé ses petits talons.

Face à nous, le casino Art Déco rutile dans la nuit glacée, telle une mécanique bien huilée. Huilée, c’est le mot. En 2008, le produit brut des jeux (c’est-à-dire la différence entre les mises des joueurs et les gains qui leur sont reversés) a frisé les 63 millions d’euros.

Ce vendredi 13, ça se bouscule au portillon : tout le monde gratte le petit ticket de jeu offert par la maison. Qui sait, si on revient bredouille cette nuit, on repartira peut-être avec un coussin en forme de coeur... Contrôle d’identité. “Bonne soirée, messieurs dames”. Un type tranche avec la foule compacte : allure de boxeur, chemise ouverte, chaîne en or qui brille, pantalon noir, chaussures blanches. Un poil maquereau. La femme qui l’accompagne porte fausse fourrure et fards toutes catégories. Le couple fait un peu tâche car en réalité, ici, pas de tenue de soirée. Des gens tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Le bruit de fond des 400 machines à sous tape illico au cerveau. Tchling ! Tchling ! Tchling ! Tchling ! Tchling ! Ça clignote partout. À droite, à gauche, devant, derrière, on se presse sur les Draw Poker, Diamond Line, Triple Gold, et autres Top Banana.

43 jetons à la minute !

22 heures 59. On se décide à passer en caisse : 25 euros en jetons de 50 centimes, 25 autres en jetons de 1 euro. Petit haut de forme plastoc renversé en main (la caisse à jetons), on déambule parmi les allées moquettées bondées. C’est fou comme personne ne semble s’amuser. Soupe à la grimace de rigueur. Il faut dire qu’ici, le joueur est un brin compulsif. On s’amuse à chronométrer une quinqua devant sa machine. Sur l’écran tactile, 26 pressions de doigt à la minute ! Juste à côté, une autre dame, sensiblement du même âge, enfile 43 pièces dans le même laps de temps.

Personne ne bronche. Parfois seulement, un regard sur la machine de l’autre. On s’assoit. Timidement, mal à l’aise dans cet écosystème... flippé. Un jeton, deux jetons, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf. Cling ! Cling ! Cling ! La machine en recrache trois. Et ainsi de suite. Jusqu’à ce qu’on ne discute plus du tout, bloqués sur notre machine. Comme la flopée de (quasi) morts-vivants. Le temps d’aller chercher d’autres jetons, certains joueurs mettent leurs clés (de maison, de voiture) dans la fente de leur machine. Dans un casino, on s’approprie son bandit- manchot. On gagne, on perd, on gagne... Au final, on perd. “Tu veux gagner au casino ? demandait jadis Isidore Partouche à son fils Patrick, aujourd’hui président du directoire du groupe. “Achète le casino”. Une leçon de vie.
“Il y a encore des mecs armés au Lyon Vert...”

Il est 2 heures du matin. On prend le grand escalier, direction l’étage et la salle des jeux traditionnels. Le barnum s’estompe. On flotte jusqu’à l’entrée. Re-carte d’identité. Et là, quoi ? Des jeunes ! On s’attendait à croiser du beau monde, bien guindé, bien mondain. Que nenni. “C’est devenu une nurserie la salle des jeux, moufte Jean-Marc Allard, truculent directeur de la salle des jeux. Regardez, il n’y a que des mouflets, nous, les anciens du casino, on n’a pas l’habitude de ce public”. Moyenne d’âge : 25 ans. Jeans, baskets. Avec, aussi quelques bonnes têtes de margoulins. Jean-Marc Allard nostalgise sur l’époque de la mondaine, des flambeurs pleins aux as, de leurs porte-flingues, des braqueurs du gang des postiches.

Sur sa lancée, il va même jusqu’à nous certifier qu’“il y a encore (aujourd’hui, NDLR) des mecs armés au Lyon Vert”. Jean-Claude Carrilero, de la police des jeux et des courses (anciennement affiliée aux renseignements généraux), ne semble pas broncher : “Tout est possible, vous savez, il n’y a pas de détecteurs de métaux”. La roulette tourne, les heures avec. À 4 heures 30, les membres du directoire comptent les billets qui seront remis aux joueurs de black-jack. Les mines sont fatiguées, les yeux au bord des orbites. Un homme, la trentaine, mal rasé, tente son dernier jeton à la roulette française, sur le 7 rouge. Faites vos jeux, rien ne va plus. Pas de bol. À côté, trois jeunes, rentrent chez eux, à Saint-Chamond. Ils font les comptes : 350, 400 et 700 euros en moins. D’autres auront été plus chanceux. Mais au final, c’est le casino qui aura remporté le Jackpot. 172 000 euros de recettes journalières. Ça fait rêver les mamies, “le club du troisième âge” du matin et les “mouflets du soir”.

Il n’y a pas si longtemps, Alain Migliaccio, l’agent de Zinedine Zidane a perdu un peu moins de 200 000 euros, en une soirée, à la roulette française. Jackpot.

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