Dossier Jeu : La folie du Rapido

Parmi l’ensemble de l’offre de la Française des Jeux, le Rapido est considéré comme le plus puissant addictogène. Mais ce jeu de tirage est aussi victime de sa propre réussite. Pour la première fois, la Française des Jeux a en effet dû modérer elle-même son système. En dix ans, la mise maximum autorisée est passée de 500 à 10 euros. Avec 8 bons numéros et une double mise, le plus chanceux des joueurs ne gagnerait aujourd’hui “que” 100 000 euros. Une somme dérisoire à côté des millions mis en jeu pour le Loto.

Croix-Rousse, un jour de marché. Au café, les habitués se pressent autour du patron pour faire valider leurs tickets. Le Rapido, jeu phare de la Française des Jeux, c’est un tirage toutes les cinq minutes, de 6h à minuit. Un rythme effréné. Difficile à suivre même pour les plus accros. Et pour cause : avec une mise de 1 à 10 euros par bulletin, un passionné pourrait dépenser, en une heure, jusqu’à 120 euros. En participant au “tirage de la deuxième chance”, il double la mise…

La plus grande réussite et le plus grand danger du concept résident pourtant ailleurs. Dans l’accessibilité et la rapidité du jeu., les amateurs n’ont nul besoin de connaissances en hippisme ou en sport pour espérer gagner, ils connaissent immédiatement le résultat de leur mise et surtout le jeu s’invite dans leur univers, au coin de la rue, dans leur bistrot préféré.

Sur les écrans dédiés, un décompte égrène le temps entre deux tirages. L’adrénaline monte. Sous une table, les jambes d’un ouvrier en bâtiment s’agitent. Tirage n° 96. Les chiffres tombent. Le 3, le 5, le 8… Les espoirs s’envolent aussi vite que les tickets perdants sont froissés. Le décompte reprend. Tirage n° 97. Quatre minutes. Trois. Deux. Une. 30 secondes... “Certains sont comme hypnotisés” confie Sonia Courbis, gérante d’un bar-tabac de l’Ouest lyonnais.

Agacés de perdre, certains tentent alors un Loto ou grattent un Millionnaire. Pour voir. Pour changer. Un monsieur d’une soixantaine d’années confie avoir joué 60 euros au Rapido la veille, 12 euros depuis ce matin. Il passe du bar au comptoir dédié aux jeux, salue un collègue, dit qu’il va partir, sort du café, fume une cigarette et revient. Oubliées les pertes ! Avec un sourire enfantin, il se décide à valider un ticket de PMU.
À la veille de l’arrivée, le 16 mars, d’un nouveau jeu de tirage dans les bars et malgré la rentabilité indéniable du Rapido, l’engouement pour ce jeu s’essouffle.

Au Café Jutard, Grégory Joubert annonce une baisse de 23% sur l’année 2008, confirmée par les chiffres nationaux. Clef du succès du Rapido par le passé, l’association du jeu avec la “culture bistrot” a beaucoup souffert de l’interdiction de fumer dans les lieux publics. “Ça touche toute notre activité, mais sur les jeux, c’est très marqué” confirme Sonia Courbis. Fini le temps où les clients pouvaient rester des heures au bar, les yeux rivés sur l’écran, à enchaîner les cafés, les grilles et les clopes.
Par son ancrage local et populaire, le jeu attire principalement les revenus modestes, les retraités ou les chômeurs.
Ce matin, Randy, lui, s’est fixé une mise maximum de 20 euros. Il en gagne bientôt 50. “Mais je ne les rejoue pas, sinon ça sert à rien !”. À chacun ses règles. Jeune et salarié, Randy vient “pour l’ambiance”, “boire un café et discuter un peu”. Comme l’y encourage les panneaux de la FDJ, il semble rester “maître du jeu”. Rares sont en fait les “gros joueurs” au Rapido.

Par son ancrage local et populaire, le jeu attire principalement les revenus modestes, les retraités ou les chômeurs. Hormis les cas pathologiques, le bon sens rattrape souvent les imprudents. “Les habitués se connaissent, on leur dit tout de suite s’ils jouent trop” explique la gérante du bar de Taluyers. Car si la rapidité et la facilité du jeu séduisent, la majorité des amateurs se méfient et jouent ponctuellement. Deux euros. Dix euros. En début de mois. Après un gain à un autre jeu.

Difficile finalement de saisir le profil type du fondu de Rapido… Et il n’y en a peut-être pas. Les habitués sont avant tout des joueurs en quête de sensations. La seule idée des gains potentiels suffit à les étourdir, à les divertir. Pour preuve, le succès grandissant des grilles “flash”, ce système où le terminal de la FDJ décide des numéros joués lors de la validation du ticket. Moins rationnel est le choix, plus grand est le frisson. Le joueur s’abandonne au hasard jusqu’à la fin du décompte. Tirage n° 102.

Au comptoir, une cliente bienheureuse encaisse son gain et le réinvestit aussitôt. “Bien sûr que je rejoue tout, ça porte malheur si on garde l’argent !”.

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